lundi 16 mars 2020

Le Chant de la frontière, Jim Lynch

"Du jour au lendemain, et pour la première fois de mémoire d'homme, des Américains parlaient de la plus grande frontière non surveillée au monde comme s'il s'agissait d'une bourde du gouvernement".


Il s'en passe des choses le long de la frontière américano-canadienne. Les traficants de cannabis ont bien compris qu'ils pouvaient jouer sur la législation canadienne pour cultiver les plantes sur le territoire pour ensuite les écouler illégalement en Amérique.
Sauf que dans une bourgade limitrophe du Vermont, la Border Patrol compte Brandon dans ses effectifs. Il n'a rien du "shérif fais moi peur", ni du cow-boy. 
"Brandon, lui, il se contente d'être. Et il garde les yeux grands ouverts, très très grands".
C'est un contemplatif, amoureux des oiseaux au point de savoir imiter leurs chants et de les différencier, et surtout, dyslexique depuis son plus jeune âge, c'est un loup solitaire, avare de paroles, timide, tentant de contrôler comme il peut ses petits troubles autistiques qu'il développe en cas de stress.
"Faire parler Brandon était aussi difficile que de faire démarrer une tronçonneuse au printemps : vous ne saviez jamais combien de temps il mettrait à répondre, ni quand il allait s'arrêter. Il avait une voix d'animateur radio mais le débit haché d'un enfant, ce qui obligeait les gens à se tourner vers Norm pour qu'il serve d'interprète".
Oui mais voilà, depuis quelques temps, sans le vouloir vraiment, Brandon a arrêté un bon nombre de passeurs de drogues ou de migrants clandestins qui tentaient leur chance. Il devient un peu le héros du coin et attire l'attention.
"Brandon a sa façon à lui de voir les choses" ,
selon son père Norm, agriculteur en bout de course, qui cherche une solution pour ne pas s'écrouler sous les dettes. Brandon est son fils unique, une véritable énigme. Sur son bout de terre, il préfère observer les comportement de sa nouvelle voisine, Sophie,  masseuse de profession, qui accueille tous les hommes du voisinage et enregistre leurs confessions pendant ses soins.

Jim Lynch raconte tous ces gens impactés de près ou de loin par le trafic de cannabis à la frontière, frontière invisible qui borde souvent leurs propriétés et dont jusque là il ne souciait pas. Et au milieu, Brandon, le seul à sa manière capable de prendre le temps des choses et d'apprécier le moment présent.
"Les gens parlaient de Brandon de la même manière qu'ils discutaient des tremblements de terre, des éclipses et autres phénomènes. Sa taille, son "art" et les choses bizarres qu'il racontait et faisait avaient toujours provoqué des bavardages au sujet de Super Dingo, ou Big Bird ou autre surnom qu'on lui attribuait sur le moment".
L'original du coin devient un peu la mascotte et recentre les priorités de chacun. La masseuse Sophie a tout compris. En recoupant les enregistrements de chacun, elle a su dresser un portrait sensible du jeune homme :
"Brandon est votre fils, mais il construit notre histoire. Il n'est pas seulement unique et respectable, c'est également le seul qui est incapable de prendre (...) la pose".
Le Chant de la frontière est un petit bonheur de lecture. La frontière poreuse et paisible devient le lieu de tous les possibles où des personnalités s'affirment, se perdent, au milieu des chants sereins des oiseaux migrateurs.

Ed. Gallmeister, collection Totem, traduit de l'anglais (USA) par Jean Esch, 400 pages, 10.80€
Titre original : Border Songs