L'Hôtel Iris est le seul hôtel de la station balnéaire à ne pas porter un nom maritime. Sa propriétaire le gère d'une main de fer et n'a pas hésité à faire de sa fille Mari son employée corvéable à merci.
Le seul moment de douceur entre les deux femmes est lorsque la mère peigne et enduit d'huile de camélia les longs cheveux de sa fille Mari. Cette dernière ne sait pas grand chose du monde et ses relations sociales se limitent à celles, expéditives, avec les clients de l'hôtel. Un soir, elle est fascinée par une scène choquante dont elle est témoin dans les couloirs de l'établissement : une jeune femme claque la porte, échevelée, tout en insultant le vieil homme distingué et élégant avec qui elle s'était enfermée dans une chambre. Ce qui lui a plu, c'est le son de la voix du client ; une insulte dite sur un ton sec et tranchant.
Obsédée par cette voix, Mari n'hésite pas à revoir cet homme. Commence alors entre eux une correspondance ponctuée de rencontres. Quand il l'emmène chez lui, sur l'île en face de la baie, Mari se sent prête à tout accepter.
"Les ordres de ma mère me donnaient toujours le cafard. Elle m'accablait, me rendait misérable."Se dit-elle souvent. Or, quand son vieil amant lui donne des ordres, elle se soumet, accepte, même si ses injonctions sont de plus en plus dégradantes.
"Je me suis dit que je n'avais encore jamais entendu un ordre résonner de manière aussi belle".Au fil du temps, la douleur trouve sa place dans leur étrange relation. Celle-ci lui procure du plaisir. Elle ne conçoit plus de ne pas souffrir. Elle se languit d'être son objet personnel.
"J'aurais dû avoir mal partout. Cependant, je ne sentais rien. Mes nerfs s'étaient désespérément noués quelque part. La douleur qu'il me procurait libérait une douce langueur dès qu'elle franchissait la barrière de ma peau".Mari accepte cette souffrance et cette dégradation. Depuis toute petite son image de soi s'est dégradée entre un père alcoolique et une mère avare de gestes tendres. Ainsi, elle perçoit le comportement du vieil homme comme des marques d'attention. De toute façon, comme elle ne vaut rien, elle mérite ce qu'il lui inflige.
"Plus la chair au service de laquelle je suis est laide, mieux c'est. Cela me permet de me sentir vraiment misérable. Lorsqu'on me brutalise, lorsque je ne suis plus qu'un bloc de chair, naît au fond de moi une onde de pur plaisir".
Seulement, aucun des deux protagonistes n'est capable de poser des limites. Mari sait que son amant est veuf, sent qu'il porte une blessure en lui, indélébile, que même la venue du neveu ne peut adoucir. En public il est un Jekyll prévoyant et doux, alors qu'en privé il est un Hyde, pervers monstrueux.
"Il ne cherchait pas à se débarrasser de la colère mais d'une souffrance de nature différente. La fêlure qui s'était produite en lui à son insu avait pris des proportions telles qu'il était difficile d'y remédier et qu'elle semblait affecter la totalité de sa personne".Avec Hôtel Iris, Yôko Ogawa signe peut-être son roman le plus malsain. L'atmosphère est étouffante, les phrases décrivant les perversions infligées sont cliniques et se heurtent à celles décrivant des paysages magnifiques. Le lecteur reste malgré tout captivé par cet étrange manège entre deux êtres que la douceur et la bienveillance ont laissés de côté. Et on se demande comment une telle mascarade d'amour peut bien finir.
Ed. Actes Sud, collection Babel, traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle, 236 pages, 7.70€
Titre original : Hoteru Airisu