mardi 23 avril 2019

La Citadelle, Eric Metzger

Calvi, l'été. Emile pense qu'il va pouvoir profiter avec ses amis du festival de musique sur la plage. Sauf qu'il rencontre Andrea et cette jeune corse va bouleverser irrémédiablement sa vie.

"Des yeux noisette et vert, la mine distante mais chaleureux le sourire insolent bien qu'aimable ; elle n'était plus à une contradiction près. La jeune femme se dirigea vers eux comme si le temps ne la concernait pas".
Emile ne sait pas ce que tomber amoureux veut dire. Il a certes eu quelques aventures, mais jamais sa vie a été bouleversée par l'être aimée. Grand lecteur de Le Rouge et le Noir de Stendhal dont il lit et relit quelques pages chaque soir, il est un admirateur du personnage de Julien Sorel. Comme lui, il pense que l'amour est une lutte acharnée.
"Julien Sorel, ce mauvais modèle. L'ambition dévorante comme revanche. Un monstre prêt à combattre, mordre, tuer même. Très jeune, Emile avait admiré ce garçon revanchard, capable de bousculer par l'exercice de son intelligence une société avare en place et à la hiérarchie figée".
Quand il croise le chemin d'Andrea, il la déteste d'emblée. Pourtant elle est libre, indépendante et tient à sa singularité. Sauf qu'elle est issue d'une famille aisée et la maison familiale en est la preuve. Emile a peur en fait. Il se sent attiré par cette fille mais se persuade qu'il n'est pas fait pour elle. Mieux vaut feindre l'indifférence croit-il.
"Sa manière de penser, ou même encore sa taille ; pourtant elle ne semblait jamais sur la défensive. Emile devrait lutter. Lutter pour attirer son attention, pour l'intéresser, pour la conserver près de lui. Lutter aussi pour s'en protéger et l'éloigner. Tout ne paraissait que lutte et pourtant, près d'elle, il se sentait si bien".
Sans cesse partager par ses sentiments ambivalents, Emile accepte finalement l'inéluctable : Andrea l'obsède. Même de retour sur Paris, il n'arrive pas à l'oublier. Les années passent et chaque été il revient sur Calvi. Désormais, il doit finir de rédiger son mémoire de thèse sur le héros stendhalien. La vie amoureuse d'Emile ressemble à celle de Julien Sorel. Les deux héros ont des points communs de caractère. Emile a peur du vide, de la béance que peut provoquer le sentiment amoureux quand il n'est pas réciproque.
"Je n'ai pas de place définie. Je ne suis pas. Dans son champ de pensée je n'ai pas ma place, mais j'en cherche une. Pourtant, il me faut une place, parce que déstructuré, je ne pourrai pas trouver de repos. Hors système, je n'ai aucune chance".
Aimer pour exister, exister pour aimer. Pour cela, Andrea ne doit pas incarner un objet de gloire et Emile doit arrêter de juguler son désir L'amour peut être autre chose qu'un combat
"Il pensa à Andréa. Tout en elle annonçait un combat"
A première vue, La Citadelle peut être perçue comme un roman léger sur le sentiment amoureux sur fond de vacances sous le soleil de Corse. Pourtant, il n'en est rien. Emile est profondément malheureux. A force de lectures, à force de comparaison avec le héros stendhalien, le jeune homme s'est interdit d'aimer facilement. Dans ce jeu du je t'aime moi non plus qu'il s'est imposé, il souffre et se rend compte au fil du temps qu'il passe à côté de l'essentiel.
La citadelle de Calvi est le témoin immuable et silencieux du tourment d'Emile. Le lecteur aussi.

Ed. Gallimard, collection L'Arpenteur, mars 2019, 18€