lundi 4 février 2019

Le Cherokee, Richard Morgiève

Le shérif de Panguitch, Nick Corey, a fort à faire. Alors qu'on lui signale des soucoupes volantes, il trouve un avion de chasse sans pilote et un peu plus loin une voiture abandonnée dans laquelle flotte l'odeur capiteuse d'un parfum de marque....


Un avion de guerre abandonné alors qu'on est en pleine guerre froide, c'est une affaire pour le FBI et Nick Corey leur refile sans état d'âme. en 1954, les extra-terrestres c'est comme les communistes, on en voit partout !
Lui, ce qui le turlupine, c'est la voiture. Elle ne présage rien de bon mais surtout les indices lui rappelle les meurtres sauvages de ses parents adoptifs il y a plus de vingt ans. Cette nuit-là, il n'est pas arrivé à temps, perturbé par la vision d'un indien Cherokee qui tentait de lui transmettre un message.
Coupable idéal, il a fait de la prison pour être libéré ensuite après la découverte de nouveaux indices.Seulement la vie de Corey s'est arrêtée après cette nuit tragique.
"Le meurtre de ses parents l'avaient tué et il vivait mort (...)  Corey avait l'impression que sa peine mutait, qu'elle devenait une obsession folle".
Il porte désormais son existence comme une croix et rumine sans cesse ses expériences passées. C'est sûr, il a du mal à assumer ce qu'il est réellement.
"La vie...La vie était une expérience terrible , inhumaine en vérité - les hommes n'étaient pas faits pour vivre".

Cet "orphelin extrême" mène l'enquête et comprend très vite qu'il est sur les traces du tueur en série qu'il traque depuis toujours. Il l'appelle le Dindon à cause de son rire qui glougloute, un monstre de la pire espèce qui sème le sang et le vice.
"Les tueurs en série étaient des hommes du monde dit moderne, ce monde qui en réalité fonçait vers la fin. Les tueurs en série niaient la nature, c'était des hommes urbains".
Dans ce jeu du chat et de la souris, le meurtrier a toujours une longueur d'avance et il prend un malin plaisir a laissé des indices pour qu'on ne perde pas sa trace.
"Pour enquêter sur un crime, il fallait supporter son histoire, vivre avec : le tueur avait volé la Bible de son père et avant il l'avait castré".
"Les histoires servent à croire (...) Corey avait besoin d'histoires, de se raconter en les vivant, de poursuivre une histoire mal entamée, la sienne - d'essayer de trouver une fin. Il fallait raconter des histoires et éviter de s'en raconter".
Alors Nick Corey trimbale sa carcasse à travers l'Utah et ses paysages désertiques sur une vieille Harley. Il y rencontre l'amour, intermède lui permettant de s'accepter tel qu'il est au sein de ses semblables. Trop de souffrances, trop de meurtres, trop de questions sans réponses pour ses frêles épaules...

"Il n'y a pas de criminel dans la nature, disait le papa de Corey, c'est le Diable qui a inventé le crime pour perdre l'homme".
Le Cherokee embarque le lecteur dans une histoire de vengeance et de mort en compagnie d'un shérif lunaire en proie à des raisonnements existentiels. Richard Morgiève utilise les codes du polar pour offrir un roman noir sans concession dans lequel pourrait être inscrit en bannière l'expression "no future". Chez lui, la nature humaine est capable du pire pour le plaisir et les émotions ne sont que des ersatz de moments agréables.
Nick Corey est un shérif solitaire, le lonesome cowboy de son bled paumé, belle gueule, dont le physique attirant et l'humour cachent une détresse folle et une bien piètre opinion de ses semblables
480 pages de chapitres courts, taillés au scalpel, qui nous prouve que Richard Morgiève a vraiment réussi son dernier roman.

Ed. Joëlle Losfeld, janvier 2019, 480 pages, 24 €