William dit Billie est une femme. Elle porte des pantalons et enchaîne les aventures féminines sans lendemain. A défaut d'avoir réussi à devenir scénariste, elle distribue à travers les Etats-Unis les mauvais films d'une boite de production minable. Pour cela elle doit se rendre dans l'Arkansas.
Pourtant, le propriétaire du cinéma de Kansas City l'avait prévenue :
"N'allez pas dans l'Arkansas (...) Là-bas, c'est un autre monde, Billie. C'est là que le Midwest s'arrête et que le Sud commence, et elle est pas jolie, la transition".Et il avait raison. Avec sa dégaine, ses mœurs libres et son métier d'homme, Billie ne passe pas inaperçue lorsqu'elle foule les rues de la petite ville de Stock's Settlement. En plus, nous sommes en 1947 et la société se méfie des personnes en avance sur leur temps. Pour couronner le tout, le pasteur de la ville a fait de l'industrie du cinéma l'incarnation de l'oeuvre du Diable.
Pour les habitants, Obadiah Henshaw est le "Moïse des Ozarks". Vétéran de la seconde guerre mondiale, il a perdu la vue en sauvant des camarades de combat. Depuis, il prêche une religion intégriste et sans compromis. Son épouse, la trop belle Amberly, vit en retrait et semble subir les principes de la maison.
Billie a vite compris que quoi qu'elle fasse, "elle serait une incarnation obstinée de la dépravation morale". C'est pourquoi, elle s'évertue à vendre ses films au cinéma local puis, avant de quitter l'état, braver Henshaw et tomber amoureuse d'Amberly.
« Je me souviens de m’être dit ce matin-là, en quittant Kansas City, que mon boulot – ma vie, en fait – ne pouvait guère être pire. Quand j’y repense maintenant, ça me fait rire. Ça me fait vraiment rire. »Au fond de sa cellule de prison, Billie attend son jugement et se dit que finalement sa petite vie bien réglée était ce qui ressemblait le plus à du bonheur.
Son retour dans le Kansas, la mort du prêtre, sa fuite avortée avec Amberly et son arrestation par le duo Lucy et Eustace Harrington l'ont menée inexorablement vers le point de non retour.
"Peut-être que la mort est la seule grâce possible",se dit Billie en attendant son jugement. De toute façon son avocat commis d'office ne lui est pas d'un grand secours et la population de Stock's Settlement a définitivement posé un jugement moral sur elle.
Il y a un fond de déterminisme dans la façon dont Jake Hinkson a orienté l'histoire de sa protagoniste. Malgré ses tentatives pour oublier sa famille plus que bancale et assumer ce qu'elle est, tout la rattrape. De plus le contexte social, l'Amérique de l'après-guerre, et le contexte religieux sur fond de bigoterie et d'hypocrisie, ne lui ont pas permis de s'épanouir librement.
Certes, Sans lendemain est aussi une histoire de meurtre sur fond de passion amoureuse, mais ce crime est aussi le symbole de rejet de toute une mentalité faite d'a priori et d'exclusion. Et cela Amberly l'a bien compris :
"C'est ce que j'ai compris après toutes ces années. Les gens veulent toujours croire l'histoire qui correspond à ce qu'ils préfèrent penser".Grand Prix de Littérature policière 2018, ce roman transporte le lecteur dans un contexte assez inédit. L'auteur multiplie les facteurs sociétaux comme autant de vecteurs possibles aux conséquences des agissements de l'héroïne, ce qui rend son texte captivant.
Ed. Gallmeister, collection Totem, janvier 2019, traduit de l'anglais (USA) par Sohie Aslanides, 224 pages, 8.40€
Grand prix de littérature policière 2018
Titre original : No Tomorrow