vendredi 25 janvier 2019

Salina, Laurent Gaudé

"Salina va mourir et elle veut une terre où reposer".

Tel est l'incipit de ce court roman qui fut d'abord une pièce de théâtre, construite également sous forme de triptyque. Ainsi, Salina meurt et son dernier fils Malaka l'emmène vers l'île cimetière où elle veut reposer en paix. Mais pour que les portes de ce lieu de repos s'ouvrent, il faut que Malaka raconte la vie de sa mère défunte.
"Le cimetière où il l'emmène est sacré. L'île est cerclé d'une muraille. Il n'y a qu'une porte, épaisse, qu'aucun homme ne peut ouvrir. Il faut embarquer les morts et pendant tout le temps que dure la traversée, raconter ce que fut la vie du défunt. Le cimetière entend le récit. Et au terme du voyage décide si la porte doit s'ouvrir ou pas".
La vie de Salina est remplie de colère, de larmes et de vengeance. N'est-elle pas la petite fille déposée à l'entrée d'un village, protégée par les hyènes et qui, par la force de ses larmes, n'a pas voulu mourir ?
"A partir de ce jour, Salina devint une enfant. Elle est sortie de la matière indistincte qui pouvait à tout moment l'avaler : poussière de désert et mâchoires de hyènes. Elle s'est extraite de l'odeur de sueur d'homme et de bête et les bras de Mamambala l'ont fait naître".
Mamambala, sa mère adoptive, lui a tout appris sauf que "grandir était un exil". Mariée de force au frère de celui qu'elle aime, elle va apprendre le rejet, l'humiliation, la colère enfouie, jusqu'au jour où, devenue veuve, elle va enfin exprimer sa vengeance.

Dès lors, le récit prend une tournure épique. Par la bouche de Malaka qui emmène le corps de sa mère vers son dernier exil, est racontée la vengeance de Salina puis son long chemin vers la paix intérieure.
"Tout est là. Dans ce corps qui s'assèche et laisse échapper une dernière fois sa mémoire", et on ne peut que s'incliner devant cette vie remplie de souffrances et malgré tout d'amour.
"Le cimetière accepte Salina, la femme aux trois exils, celle qui a eu un fils haï, un fils colère et un fils pour tout racheter, Salina, la femme salée par les pleurs, condamnée à naître et à mourir en marchant dans des terres inconnues".
On retrouve avec plaisir l'écriture poétique de Laurent Gaudé qui donne du souffle et de la voix à ceux qui sont malmenés par le destin. La force du texte est incarnée par le personnage de Koura Kumba, l'enfant colère, le bras armé de la vengeance de Salina, mais aussi la voie possible vers l'apaisement final.


Ed. Actes Sud, octobre 2019, 160 pages, 16.80€