jeudi 20 décembre 2018

Cahier d'un retour de Troie, Richard Brautigan


"Ce livre constitue le calendrier du voyage d'un homme au cours de quelques mois de sa vie"

Le titre français fait référence aux divers voyages de Richard Brautigan dont il fait référence dans ses fragments de récits qui constituent le calendrier d'un écrivain qui tente désespérément de coordonner passé et présent, remords et désirs, vie et mort.
Oui, la mort est sans cesse présente. Elle s'incarne dans la disparition de deux femmes bien connues de l'auteur, dans les flammes d'un incendie, dans le temps qui s'écoule inexorablement et sape la volonté de vivre.
"Il est permis d'espérer qu'il se passera bientôt quelque chose de plus passionnant",
désire l'auteur. Or, tout se complique. Même le voyage à Hawaï se réduit à une visite au cimetière pour évacuer la torpeur et la léthargie. Plus tard,en Alaska, seules ses conversations avec un parlementaire alaskan givré lui permet de faire le point et de vouloir atteindre :
"dans une certaine mesure, une sorte de paix intérieure, prendre un peu plus de distance par rapport aux frustrations et aux souffrances de ma vie, qui sont si souvent de mon propre fait".
Chicago, San Francisco, Hawaï, Alaska, Montana, autant de chemins, de rencontres qui n'ont pas permis de trouver un fil conducteur à ce livre que Brautigan ressent comme un échec :
 "L'un des échecs programmés de ce livre consiste à essayer de faire constamment fonctionner passé et présent de façon simultanée".
"Ma vie est strictement dépourvue de toute dynamique depuis plus d'un an, et je n'arrête pas de passer beaucoup trop de temps à faire des choses très simples, et mon cœur est depuis quelque temps comme une colonie implantée sur la lune et peuplée d'une sorte très particulière de stalactites qui ne connaissent apparemment rien aux transitions de phase".
Dernier ouvrage avant son suicide, ce récit sans cesse recommencé est un testament littéraire de l'auteur. Il y exprime avec une infinie pudeur son mal être, sa difficulté à vivre le présent et son incapacité à entrevoir l'avenir.
La mort, ou plutôt l'idée de la mort, devient une compagne quotidienne. Elle devient une alternative à une délivrance mainte fois cherchée dans les voyages mais que Brautigan n'arrive pas à obtenir.
Même les souvenirs heureux n'ont plus la même saveur, même la famille (ici sa fille) ne lui permet pas de se raccrocher à la vie.
Ainsi Cahier d'un retour de Troie devient le miroir de la sensibilité de l'auteur et de son impossibilité à accepter son existence.


Ed. Bourgois, collection Titres,  traduit de l'anglais (USA) par Marc Chénetier, 160 pages, 8€
Titre original : An Infortunate Woman