A Invermere, bourgade canadienne de Colombie Britannique, les habitants sont à l'image du climat : rudes, froids et parfois dangereux. A travers douze nouvelles où les personnages s'entrecroisent et évoluent, la rudesse des hommes laisse une place rare à l'expression des émotions.
Parfois, quand les vicissitudes de la vie sont trop fortes, on craque. Et c'est cet instant éphémère de basculement que l'auteur a voulu mettre en avant. Chaque nouvelle proposée expose des personnages masculins sur le fil. Attention, les femmes sot aussi présentes, mais soit elles sont les catalyseurs d'une attitude explosive, soient elles sont celles qui portent et supportent ceux qui partagent leur vie.
"Quand on persévère, on vient à bout de toutes les résistances",essaye de se persuader l'ouvrier de la scierie fatigué de faire des heures supplémentaires pour éviter de croiser le regard chargé de reproches de son épouse à la maison.
Alors, pour mieux se protéger, on est à l'image du climat d'Invermere : rude, changeant et froid. On boit des bières, on sniffe des rails de coke, on fait du rodéo sur le lac gelé, histoire d'oublier un temps ce qu'on est devenu. Ces gens là ne se regardent plus depuis bien longtemps dans une glace et on abandonné l'idée de faire un travail sur eux-mêmes.
"Sans le gamin Biff ferait partie de ces hordes de minables qui se plaignaient à longueur de journée sur les chantiers de construction - pas de fric, pas de famille, la terre froide et cruelle pour unique horizon. Biff Crane : l'homme qui n'a rien à perdre. Biff Crane : l'homme qui a quelque chose à récupérer".La seule étincelle positive reste les gosses ; leurs gosses, bien trop souvent adultes avant l'heure, obligés de se coltiner les états d'âme de leur père. Bagarres, insultes et sport de quotidien sont autant d'actions pour se prouver qu'on est là, bien là et au dessus des autres. Néanmoins, il suffit qu'une fille soit en jeu pour que l'amitié soit mise à rude épreuve.
"On s'accroche encore - il connaissait cela par cœur. On s'accroche et les choses tournent bien, ou mal, mais on ne lâche rien, en tente encore le coup parce qu'on n'a pas le choix".Une certaine fatalité envahit les habitants d'Invermere. On vit au jour le jour, incapables de faire des projets d'avenir ou de s'y tenir. Quand l'épouse prend le large, on attend, incapable d'appréhender comment la vie sera faite sans elle, tout en sachant au fond de soi la part de responsabilité dans cette décision de départ.
"Tu ne te demandes jamais si ça aurait pu mieux tourner pour toi ? a-t-elle lâché avec, au fond des yeux, un mélange de sagesse et de déception".
D.W Wilson dépeint des gens qui n'arrivent pas à exprimer leurs émotions véritables de peur d'être ridicules ou faibles. Les mauvaises actions alternent avec les moments de grâce et dessinent ainsi les portraits d'hommes vulnérables et souvent dignes.
"Ce n'était pas le monde qui changeait, ou alors de manière imperceptible, en tout cas à l'échelle d'une vie. Les gens, en revanche ? Tiens, il n'avait qu'à se regarder, là, dans le noir - personne ne lui accordait son pardon et lui, il refusait le pardon des autres. Qui sait, certaines erreurs sont parfois irrévocables. -"Les amitiés se délitent au fil du temps, les vies se compliquent et le peu de famille qui reste disparaît. Alors il faut affronter le monde seul et ce n'est pas une sinécure.
La Souplesse des os raconte ces hommes et ces femmes qui subissent, affrontent, soutiennent et tentent de garder la tête haute.
Ed. de L'Olivier, septembre 2018, traduit de l'anglais (Canada) par Madeleine Nasalik, 272 pages, 23€