jeudi 20 septembre 2018

La Maison Golden, Salman Rushdie

On ne peut pas complètement effacer son passé ; un jour ou l'autre il nous rattrape. A travers les yeux d'un apprenti cinéaste, Salman Rushdie nous raconte la tragique histoire de Neron Golden et de ses fils, nouveaux résidents de la petite communauté des Jardins...


Ils sont arrivés à Greenwich Village, le jour de l'investiture de Barack Obama. Ils sont arrivés en taxi, fiers, sûrs d'eux, investissant une des maisons des  Jardins et suintant la richesse par leurs pores. René, un de leurs voisins, les a vus arriver, posté en voyeur. Il ne savait pas encore que Néron Golden et ses trois garçons, Petronius, Lucius et Dyonisos allaient devenir les personnages de son scénario en devenir.
"Mon grand projet, inspiré par les Golden, devait être écrit et tourné sous la forme d'un documentaire mais scénarisé et joué par des acteurs".
René, fils uniques d'universitaires, se rapproche des nouveaux venus. Cette famille l'intrigue ; elle ne dit rien de son passé et chaque membre est un personnage de fiction à part entière. Néron, le patriarche, vient de se marier avec la jeune et belle russe Vasilisa et gère sa fortune qui semble provenir de placements immobiliers. Petronius l'aîné, alias Petya est atteint du syndrome d'Asperger. Il vit enfermé dans sa chambre à créer les meilleurs jeux vidéos du moment. Son frère Lucius Apuleius, alias Apu, a la fibre artistique. Il est un artiste mystique qui prend ses distances avec le père tout en voulant connaître la vérité sur son arrivée soudaine à New-York. Enfin, le cadet Dyonisos préfère qu'on l'appelle D. tant il est difficile pour lui de se trouver une identité sexuelle.
"C'était une sorte de Dorian Gray, élancé, agile ; presque efféminé. L'image qu'il se faisait de lui-même, à savoir qu'il était le seul de toute sa tribu à être capable de grandeur, le seul à avoir une profondeur de caractère assez riche pour plonger profondément dans le chagrin, le seul à être rare, semblait tout simplement trouver son origine dans une réaction de défense".
Grâce à eux, René trouve de la matière pour bâtir un véritable scénario. Son film sera grand car comme tous les apprentis cinéastes, il est sûr de lui. La mort accidentelle de ses parents va paradoxalemet lui permettre de devenir plus intime avec les Golden. Neron l'accueille et l'héberge chez lui comme un fils, le prenant même parfois pour un confident. Tant de secrets si lourds à porter...
"J'ai besoin de passer encore un peu de temps auprès de Néron, dis-je. L'idée d'un homme qui efface toutes ses références, qui ne veut pouvoir être rattaché à rien de son histoire, je veux creuser cette affaire. Une telle personne peut-elle encore être considérée comme un homme ? Cette entité à la dérive sans ancre ni amarres"?
Certes les Golden sont riches, arrivent d'Inde, mais on ne sait rien d'eux. Tous sont dans la falsification de leur passé. Même Vasilia semble avoir oublié sa Russie natale.
"Les Golden racontaient tous des histoires à propos d'eux-mêmes, des histoires dans lesquelles l'information essentielle concernant leurs origines était soit omise soit falsifiée. Je les écoutais non comme si elles étaient vraies mais comme autant d'indices révélateurs de leur caractère. Les fictions qu'un homme raconte à son propos le révèlent mieux qu'un récit véridique ne pourrait le faire".
 Parfois, René a l'impression que ces gens sombrent dans une caricature d'eux-mêmes, oubliant par là qui ils sont réellement. Il n'y a que D. finalement qui reste honnête avec ce qu'il est réellement.

Et pendant que René observe tel un voyeur autorisé la maison Golden, le temps passe, les élections approchent et un challenger que Rushdie surnomme le Joker en référence à l'ennemi de Batman monte peu, peu dans les sondages..
"Autour de la maison hantée, le monde s'était mis à ressembler à un décor de carton-pâte. Dehors, c'était le monde du joker, le monde de ce qu'était devenue la réalité américaine, c'est-à-dire une sorte de mensonge radical : hypocrisie, vulgarité, sectarisme, grossièreté, violence, paranoïa, et contemplant le tout depuis le sommet de la sombre tour, une créature à la peau blanche et aux cheveux vert vif, aux lèvres très rouges"
Même la réalité se transforme en mauvais scénario de fiction. Le monde devient fou. René est pris au jeu et se laisse tenter de devenir un personnage de fiction surtout quand Vasilisa lui en offre la possibilité.
Selon René, La Maison Golden est  "ma fiction sur des hommes qui se sont transformés en fictions d'eux-mêmes". Utiliser la fiction et le mensonge pour s'affranchir de son passé, c'est ce qu'a voulu faire Neron Golden. L'Amérique, le nouveau départ, la nouvelle identité ! Or, une tragédie finit mal et nous sommes dans une tragédie moderne. Dès le début, Salman Rushdie ne trompe pas ses lecteurs. Il prévient que la fin sera tragique et il utilise la voix d'un jeune homme pour la raconter.
Malgré ses références cinématographiques et ses références antiques (car ce n'est pas rien de se choisir Néron comme nouveau prénom), La Maison Golden est un roman très contemporain admirablement construit qui happe le lecteur dès le chapitre un. Dès lors, nous, humbles lecteurs, devenons aussi des voyeurs privilégiés d'une tragédie en marche.


Ed Actes Sud, août 2018, traduit de l'anglais par Gérard Meudal, 413 pages, 23 €
Titre original : The Golden House