Qui est ce chien rouge, cet homme révolté contre la société et contre lui-même ou plutôt ce qu’il représente dans la société ? Philippe Ségur raconte l’histoire de Peter Seurg, un professeur d’université s’éloignant peu à peu de sa petite vie routinière pour foncer vers l’inconnu afin d’y trouver - croit-il – du nouveau.
Dès le début du roman, le lecteur est en droit de se
demander si Peter Seurg est le jumeau fictionnel de l’auteur, tant le choix du
prénom et du nom (anagramme de Ségur) fait résonance. D’ailleurs, Ségur a l’air
de bien connaître son personnage, au plus intime, dans les moindres méandres de
ses réflexions et ses souffrances.
Peter Seurg est un grand admirateur d’Herman Hesse au
point que de nombreuses personnes lui disent qu’ils se ressemblent fortement.
Seurg veut écrire. Il s’est d’ailleurs éloigné de sa vie d’universitaire en
prenant un congé sabbatique, et s’efforce de trouver l’inspiration dans sa
maison isolée à la montagne. Sauf qu’il est un être torturé, et rien n’est
simple pour lui depuis qu’il est entré dans une logique métaphysique un peu
rude où il se persuade que les hommes n’ont rien inventé.
« Le monde conserverait donc une mémoire des formes antérieures, que ce soit des formes physiques, des pensées ou des actions, et cette mémoire produirait des résonances à travers l’espace et le temps, comme semble l’indiquer la mémoire collective des espèces ».
« Plus encore cela signifierait que nous n’inventons rien, que tout existe déjà, les idées, les émotions, les formes artistiques. Tous les possibles de la vie seraient présents dans son déploiement même, un déploiement qui serait absolu et parfait ».
Depuis qu’il a rompu avec Neith, Seurg s’enfonce
volontairement dans la solitude, au point de refuser de renouer avec celle qui
considère comme l’amour de sa vie. Il croit qu’être seul lui permettra d’être
en accord avec ses nouvelles croyances, sa perception du monde et de la
société.
« J’étais l’orouboros des Anciens, le serpent qui se mord la queue et se dévore lui-même ».
« Les jeux étaient faits. J’avais vécu, j’avais vu, j’avais perdu. Maintenant j’étais seul, je restais seul. Je choyais seul du regard l’inconnu, cet océan sans rivages dans lequel j’allais, affranchi de tout, dépossédé de tout, arraché à tout, me plonger et m’aventurer sans sécurité ni défense ».
Peu à peu, les cachets, l’alcool et les stupéfiants
l’aident à tenir. Seurg se marginalise, vit des expériences qu’il aurait rejeté
jadis, jusqu’au jour où il décide d’ingérer de la DMT afin d’atteindre les
portes de la perception, à ses risques et périls…
« C’était donc l’histoire d’un homme qui ne voulait pas officiellement mourir, mais faisait tout pour y parvenir sans avoir l’air de l’avoir voulu ».
Pourrait-on résumer le Chien rouge ? Peter Seurg a le
comportement décrit dans Le Diable au corps de Raymond Radiguet :
« Un homme désordonné qui va mourir et ne s’en doute pas met souvent de l’ordre autour de lui. Sa vie change. Il classe ses papiers. Il se lève tôt, il se couche de bonne heure. Il renonce à ses vices ». S. lui aussi rangeait, classait, ordonnait et offrait à certains l’image d’une vie spartiate er érémétique ».
A force de vouloir se libérer des chaînes de la société,
de sa petite vie bourgeoise et bien cadrée, et de ses bien matériels, Seurg
ressemble de plus en plus au « chien
rouge à la patte ensanglantée, d’une bête domestiquée qui avait rongé ses liens
et battait la campagne, rôdait dans les villes, méfiante vis-à-vis de la
pitance donnée par les hommes, hargneuse contre leur malignité, ivre de
liberté, de soleil et des joies simples d’une course sans fin sous les
étoiles ».
Par une habile mise en abyme, le lecteur entre dans
l’esprit du personnage principal. Peter Seurg n’est pas un héros de roman, il
subit son histoire. Ses rencontres, ses choix, sa déliquescence physique et
morale rappellent d’autres romans comme 1984
de George Orwell par exemple, ou Le Loup
des steppes d’Herman Hesse.
Peter Seurg ne comprend plus le monde qui l’entoure et
ses contemporains. Il s’en éloigne et devient victime de sa propre révolte. Le Chien rouge en est le récit.
Ed. Buchet Chastel, août 2018, 240 pages, 17€