Titre original : Heather, the totality
Le créateur de la série culte Mad Men raconte dans ce premier roman toute la difficulté de la parentalité masculine dans une Amérique où les rapports de classes se creusent inexorablement.
Depuis la naissance de leur fille Heather, la vie de Mark est un long combat silencieux pour préserver sa place au sein de la famille qu'il a fondée avec Karen. Pour cette dernière, Heather est devenue le centre de tout, au point de mettre de côté sa vie d'épouse.
"En fait, à la seconde où sa fille était née, Karen avait su qu'elle lui consacrerait tout son temps et toute son attention, et ce aussi longtemps qu'elle le pourrait".Elle veut être une mère parfaite, et à défaut d'avoir des amies, veut que les autres femmes à la sortie de l'école la ressentent comme telle. Chacun de leur côté, leur existence est un long combat. Tandis que Karen frise avec l'hystérie à force de recherche de perfection, Mark, par petites touches, se fait accepter par sa fille à défaut de former encore un vrai couple avec son épouse.
Karen et Mark ont pourtant tout pour mener une vie sans soucis : de l'argent, un bel appartement dans un quartier cossu de New York, aucun problème de santé, et une fille aussi intelligente que belle.
Bobby est moins chanceux. Il ne sait pas qui est son père, et a grandi en s'enfermant dans la pièce qui lui sert de chambre, pour se mettre à l'abri de sa mère et ses amants toxicomanes. N'ayant reçu aucune éducation proprement dite, Bobby ne connaît pas tous les codes à respecter : il est un sauvageon qui tente de tempérer ses pulsions à coup de rasades de vodka.
"Les mots du médecin avaient sonné très justes à ses oreilles : Bobby était trop intelligent pour ne pas s'ennuyer en compagnie des autres, il brillait d'une lumière éclatante et divine au milieu d'eux. Il pouvait donc violer et tuer quand bon lui semblait puisque les gens n'étaient sur Terre que pour cette raison".Néanmoins, après un séjour en prison, il comprend qu'il doit prendre sa vie en main en travaillant d'arrache pied pour économiser. Il se retrouve alors ouvrier sur un chantier se situant dans l'immeuble où vit Heather et ses parents. Quand il croise la jeune fille, Bobby est subjugué au point que celle-ci devient une obsession.
"C'est depuis sa cachette sur le toit que, par une fin d'après-midi, Bobby releva pour la première fois les traces discrètes d'un parfum qui lui firent renverser son café quand elles arrivèrent jusqu'à lui". (...)
"Bobby posséderait tout ce qui composait Heather et ils ne formeraient plus qu'un à l'intérieur de lui afin qu'il devienne l'alpha et l'oméga de toute chose".
Mark a remarqué l’étrange attitude du jeune ouvrier, sauf qu'il ne peut en parler avec Karen, en proie avec sa culpabilité depuis qu'Heather, adolescente, la rejette. Il décide alors de le surveiller, persuadé que sa fille est en danger...
Heather, par dessus-tout est un premier roman qui joue énormément sur les origines sociales de chacun des protagonistes. Ainsi, il souligne que dans l'Amérique d'aujourd'hui, il est extrêmement difficile de s'élever hors de ses origines sans être rattrapées par elles. Parfois, assez maladroitement, le récit se construit sur fond de manichéisme : les bons d'un côté, incarnés par la famille de Mark, et les mauvais de l'autre, incarnés par un Bobby à qui on n'a jamais accordé la moindre attention. Ainsi, Heather et Bobby incarnent les extrêmes : l'attention d'une mère fusionnelle peut amener à la révolte, tandis que l'absence d'attention d'une mère produit un futur délinquant. Et au milieu de tout cela, un père lucide, bien conscient que la voie pour trouver sa place est un parcours semé d'embûches.
Matthew Weiner a écrit un roman assez linéaire, sans grande originalité de sujet, mais qui vaut le détour par la finesse d'analyse psychologique qu'elle apporte à ses personnages, tous torturés à leur façon, et traduite avec justesse et précision par Céline Leroy.