lundi 22 mai 2017

Mrs Hemingway, Naomi Wood

"Hadley Richardson, Pauline Pfeiffer, Martha Gellhorn et enfin , Mary Welsh.Une famille mal assortie. Des sœurs improbables", dont le point commun est d'avoir aimé le même homme : Ernest Hemingway.
Ernest est un éternel amoureux, mais il aime mal et jamais bien longtemps. Il a ce charme fou et cette prestance qui font fondre les femmes les plus indépendantes, celles même qui s'étaient jurées de ne jamais tomber dans les bras d'un tel homme.
L'autre grand amour d'Ernest est l'alcool. Il lui voue une passion indéfectible que ni les privations de la guerre, ni les troubles de l'humeur le forcent à arrêter. C'est la seule maîtresse qu'il n'aura jamais trompé...
"Pendant que les correspondants riaient, elle avait fixé le vide à travers le hublot, en se demandant qui exactement elle avait épousé. La bouteille, voilà sa vraie maîtresse".

Construit en quadryptique, le roman raconte les relations d'Hemingway avec ses femmes successives, balayant ainsi sa vie des années folles à 1961. Mrs Hemingway aurait pu être l'accumulation d'anecdotes, de poncifs, de souvenirs sur l'écrivain américain connu pour ses excès et ses frasques, mais même s'il est omniprésent dans le récit, il est décrit par les prismes des figures féminines qui ont partagées sa vie. Hadley, Pauline alias Fife, Martha et Mary n'ont rien en commun que celui d'avoir aimé le même écrivain. Ce sont quatre personnalités différentes, rivales à un moment de leur vie, puis parfois amies, qui ont lutté pour rester Mrs Hemingway et tenté d'exister à ses côtés.
"Hadley étudie son reflet. Elle voudrait que les petits os de sa poitrine apparaissent un peu sous la peau ou que ses pommettes saillent sur son visage. Elle imagine qu'après le divorce elle cessera peut-être de manger : ses amis à Paris secoueront la tête, parleront entre eux, s’inquiéteront de la voir si mince. Elle aimerait tant qu'on se fasse du souci pour elle".

D'Antibes à la villa de la Finca à Cuba, de l'Hôtel Ritz à Paris libéré en 1944, à la maison de Ketchum en Idaho, les épouses se succèdent et traînent un Hemingway charmeur, volage, constamment à moitié saoul, et qui, lorsque la nuit tombe, essaye de vaincre ses démons. Car Ernest était un homme rongé de l'intérieur. Depuis le suicide de son père avec une arme à feu - geste qu'il n'a jamais compris ni excusé - l'écrivain a du vague à l'âme. L'alcool et le temps qui passe n'arrangent rien. Autrefois inspiré, il a de plus en plus de mal à écrire. Autrefois antidépresseur naturel, l'écriture devient une source d'angoisse.

Les Mrs Hemingway ont été le rempart. Elles l'ont protégé contre lui-même au point d'accepter les affronts et de passer au second plan. Fife, pourtant divorcée depuis longtemps n'hésite pas à dire de lui à Mary : "il était toute ma vie". Naomi Wood essaye de décrire ce lien unique et étrange qui se tisse à chaque fois entre Mrs et Mr Hemingway. Même trompées ou bafouées, elles n'ont jamais eu le courage de lui nuire en vendant par exemple ses manuscrits ou autres petits écrits à un collectionneur collant, ou en le dénonçant auprès de son cercle d'amis. Une seule femme le détestait vraiment, c'était Zelda Fitzgerald.

De fait, Naomi Wood nous fait entrer sans problème dans son récit. Le lecteur n'est pas un voyeur, mais un témoin "assisté" de la rencontre, de l'amour et de la déliquescence d'un couple, quatre fois renouvelée. Hemingway a épousé quatre femmes différentes et uniques dans leur genre. Et même si elles ont essayé à chaque fois de s'imposer, le charisme de leur mari les a réduites à  ne rester que "l'épouse de"... En cela, ce roman très bien écrit et documenté, passionnant de bout en bout, leur rend hommage.
"Dans la salle de bains à l'étage, son visage s'éparpille dans les miroirs. Elle a l'air d'une enfant dont l'image dans l'image est reproduite à l'infini. Un nombre infini de femmes trompées la regardent de leurs yeux noirs et tristes. Le noir carbone de ses cheveux courts blanchit son visage. Sa tête commence à lui faire mal. Nesto. Elle ne désire rien d'autre que son mari et le tuera si elle le perd. Ou le tuera lui (...) Fife, Martha, Hadley, tout un régiment d'épouses et de maîtresses qui défile, leurs sourires sirupeux, leurs peaux laiteuses et leurs corps mouillés de désir, dans l'attente qu'Ernest veuille bien les baiser".
 Ed. Quai Voltaire, mai 2017, traduit de l'anglais par Karine Degliame-O'Keeffe, 288 pages, 21 euros.