mercredi 1 mars 2017

Strada Zambila, Fanny Chartres

Ed. L'Ecole des Loisirs, collection Neuf, janvier 2017, 210 pages, 9.50 euros.

L'orage gronde dans la tête d'Ilinca depuis le départ de ses parents pour la France. Elle se sent abandonnée et incomprise.


Ilinca et Zoe ont réorganisé leur quotidien depuis que leurs parents ont rejoint la France pour travailler. Elles sont restées à Bucarest, dans leur appartement de la Strada Zambila, auprès de leurs grands-parents et de leurs huit chats. La France, c'est l'Eldorado pour les roumains qui ont de plus en plus de difficultés à boucler leurs fins de mois. Souvent la vie rime avec survie et beaucoup de couples décident de partir vers l'ouest histoire de toucher un salaire en adéquation avec leur travail.
Ces gens courageux qui quittent leur famille pour trouver une vie meilleure sont appelés au pays des "cueilleurs de fraises".
"Contrairement à ma petite sœur, je sais depuis longtemps que les Roumains partis à l'étranger sont désignés ainsi. Qu'ils ramassent des tomates en France, soignent des malades en Allemagne ou s'occupent de personnes âgées en Italie, ils sont tous des cueilleurs de fraises. Et nous, les enfants restés dans le pays où ils ne peuvent plus rien cueillir, nous sommes des petits de cueilleurs de fraises. Même si moi, depuis trois mois, je ne peux plus avaler la moindre fraise".
Or, pour les deux petites filles, cette séparation est un déchirement, surtout pour l'aînée Ilinca qui supporte de moins en moins de ne pouvoir converser avec eux que par Skype. Zoe est plus jeune et sa joie de vivre l'emporte. Les grands-parents aimants font ce qu'ils peuvent pour elles mais rien ne peut palier l'absence des parents.
" C'est aussi pour que nous n'ayons pas à changer d'établissement que papa et maman ont tenu à nous faire rester à Bucarest. Pour que nous gardions nos habitudes, nos repères, notre maison, notre école, nos amis... Mais en échange, nous les avons perdus. Et avec eux, c'est un peu ma vie d'avant que j'ai l'impression d'avoir perdue, une vie que j'aimais bien".

Alors, pour refouler cette colère qui gronde en elle, Ilinca accepte de participer à un concours de photographies. Pour l'assister, Florin, un camarade de classe qui agrémentera les photos avec ses propres vers. Avec sa peau foncée, les roumains associent Florin à un rom, population rejetée et accusée des pires opprobres. D'abord méfiante malgré elle, Ilinca se lie véritablement d'amitié avec le jeune homme, au point d'en devenir inséparable. Il devient une béquille réconfortante dans son quotidien sans parents. C'est un poète en herbe, Il est orphelin de père et sa mère, fleuriste, lui compose des bouquets qu'il offre à son amie et sa famille. Ensemble, ils arpentent les rues de Bucarest, à la recherche de la photo qui fera la différence dans le concours.

Et puis un jour, la maman de Zoe et d'Ilinca annonce son retour pour quelques jours, sans le papa, retenu en tant que médecin à l'hôpital. Les enfants sont ravis , mais retour signifie aussi départ et encore chagrin. Comment Ilinca va-t-elle gérer ?
"La langue roumaine réunit l'attente, le manque, et le regret en un seul petit mot, qu'aucune autre langue ne peut traduire : le dor. Et je crois qu'en ce moment l’état de mon âme est tout entier contenu dans ces trois lettres".

Le premier roman de Fanny Chartres propose une histoire où se côtoient amitié, chagrin, amour tout en proposant au lecteur des passages didactiques sur les us et coutumes roumaines. Ainsi, elle bat en brèche quelques idées préconçues que les occidentaux ont vite fait d'avoir sur ce pays méconnu, et tout cela sans lourdeur ni pages en trop.
Ilinca est une narratrice de choc qui exprime à elle seule toute la difficulté de grandir, d'entrer dans l'adolescence loin de ses parents. les mots sont justes et les émotions palpables.

Strada Zambila est un livre abouti, qui lutte intelligemment contre une multitude de clichés bien ancrés, avec une mention spéciale pour les descriptions des rues de Bucarest comme si on y était !