jeudi 2 mars 2017

Le Gardien des choses perdues

Ed. Actes Sud, février 2017, traduit de l'anglais (GB) par Christine Le Boeuf, 350 pages, 22.50 euros.
Titre original :The Keeper of Lost Things


Quand Laura a répondu à l'annonce postée par Anthony Peardew, elle ne savait pas que cet homme changerait sa vie à long terme.

Cela fait des années que Laura est la fidèle secrétaire d'Anthony, un écrivain vieillissant, un rien secret, qui vit dans le souvenir de sa fiancée brutalement décédée un jour de mai 1974. Depuis, il a développé une lubie, ramasser les objets perdus, les étiqueter puis les ranger, dans l'espoir qu'ils retrouvent - pourquoi pas- un jour leur propriétaire.
Cette étrange collection ne doit rien au hasard. Sa bien-aimée Thérèse lui avait demandé de prendre soin de sa médaille de communiante, et il l'a perdue le jour de sa mort. Depuis, il s'en veut terriblement car il a l'impression que "le dernier des fils qui [les] liaient a été rompu". En récupérant les objets perdus des autres, il a l'impression de se racheter.
" C'était toujours pareil. Les yeux baissés et sans tourner un seul instant son visage vers le ciel, il scrutait les trottoirs et les caniveaux. Le dos lui brûlait, ses yeux pleuraient, pleins de poussières et de larmes. Et alors il tombait ; retrouvait dans la nuit les draps humides et entortillés de son lit. Le rêve était toujours le même. Une quête sans fin, sans qu'il ne découvre jamais l'unique objet qui lui aurait enfin rendu la paix".

Quand Laura est à Padua, la demeure d'Anthony avec son parc et sa roseraie, elle se sent chez elle, à l'abri. Depuis son divorce avec Vince, elle a eu besoin de se poser, de reconsidérer sa vie, et surtout reprendre confiance en elle. 
"Dans ses moments les plus sombres, Laura se demandait dans quelle mesure elle avait manigancé elle-même ses échecs. Était-elle devenue une froussarde invétérée, craignant de grimper par peur de tomber ? A Padua avec Anthony, elle n'avait pas besoin d'y penser. La maison était sa forteresse sentimentale et matérielle, et Anthony son preux chevalier".
"Elle s'était fait une vie différente, une peau nouvelle, mais quelque part, il y avait un endroit caché, encore rouge et raide et contracté, et douloureux au toucher". 
Freddy le jardinier lui plaît bien mais elle ne sent pas encore prête à envisager une quelconque relation. Et puis, quand Anthony meurt et qu'elle devient son héritière, elle doit s'habituer à son nouveau statut en plus de son chagrin.
Dans son testament, son employeur lui a demandé de s'occuper de ses objets perdus. En les répertoriant sur un site internet consacré, les propriétaires pourront reprendre leurs biens et pourquoi pas, continuer l'histoire qu'ils avaient commencée avec eux.
Laura se sent seule dans la grande demeure. Lorsque la petite voisine Sunshine vient sonner pour devenir tout de go sa nouvelle amie, elle accepte d'abord avec réticence puis de plein gré. Sunshine est "dancing drone" comme elle aime dire avec poésie, mais ses répliques, sa volonté de faire "la bonne petite tasse de thé" et son amitié durable font qu'on oublie vite sa trisomie. Grâce à elle, Freddy est de plus en plus présent dans la maison, et Laura l'apprécie de plus en plus. Et puis, une présence masculine à Padua n'est pas de trop depuis que des phénomènes étranges viennent ponctuer son quotidien. Et si c'était le fantôme de Thérèse qui s'exprimait ?

Au delà des aventures de Laura, le lecteur suit aussi de 1974 à nos jours l'histoire d'Eunice secrétaire puis amie intime de Bomber, éditeur londonien, célibataire, amoureux des chiens et de Brighton. Pourquoi Eunice ? Parce que c'est elle qui a ramassée et conservée la médaille de Thérèse perdue par Anthony en ce jour funeste de mai 1974. Au fil des chapitres alternés, les deux histoires se resserrent pour se rencontrer dans le dernier tiers.

Parce que les objets sont magiques et donnent du sens à notre vie, la vie de Laura prend un tour inattendu. C'est en tout cas le constat que le lecteur fait en lisant Le Gardien des choses perdues, premier roman de Ruth Hogan. L'auteur a su mélanger savamment romantisme, amitié et fantastique pour construire une trame originale dont les deux branches, complètement séparées, se rejoignent à la fin grâce à un épilogue inattendu. Vaste programme narratif qui pourtant ne dérape jamais dans la grandiloquence ou l’invraisemblable. On se plaît à lire les fragments de vie de Laura et d'Eunice, entourées de personnages secondaires de qualité, au point que le roman pourrait devenir un jour un scénario pour le grand écran.
Tous les ingrédients sont réunis pour faire une lecture plaisante, accueillante et charmante, servie par une très bonne traduction.