Ed. Zulma, collection Poche, octobre 2016, traduit de l'allemand par Jean-Claude Capèle, 217 pages, 9.95 euros.
Amberg a embrassé une carrière médicale pour remercier sa tante de s'être sacrifiée pour son éducation et ses études. Orphelin très jeune, il rêvait à une existence plus bohème, se voyant passer sa vie à étudier des documents historiques, seulement la dure réalité matérielle l'a vite fait bifurquer vers un métier plus lucratif.
Pour se détendre, il a l'habitude de lire les petites annonces du journal. Il tombe sur celle du baron von Malchin qui cherche un médecin volontaire pour s'installer dans le village isolé de Morwede. Comme rien ne retient Amberg à Berlin, il répond et très rapidement entreprend le voyage vers ce lieu qui ne lui dit rien.
Von Malchin est à la fois le maire et le premier employeur des villageois grâce à son domaine et son usine limitrophe. C'est un homme jovial, bienveillant, à l'écoute, habitué à ce que les gens lui obéissent, et ignorant de la dureté de la vie. A ses côtés Amberg devient un médecin respecté par les habitants. Il prend plaisir à discuter avec son protecteur. Ce dernier lui explique ses recherches et sa trouvaille : une drogue surpuissante, extraite d'un champignon du blé, la Neige de saint Pierre.
"Partout où elle apparaissait, elle portait un nom différent. En Espagne, elle s'appelait lichen de Madeleine, en Alsace, rosée des pécheurs. Le livre du médecin d'Adam de Crémone, le nommait blé de la miséricorde ; dans les Alpes, on la connaissait sous le nom de Neige de saint Pierre".
Avec Kallisto, une laborantine qu'Amberg avait déjà rencontré à Berlin et dont il est encore secrètement amoureux, von Malchin espère l'essayer sur des êtres humains, et compte sur l'assistance du médecin pour prescrire la drogue, sous couvert d'un remède. Au-delà de la question déontologique, Amber se demande quelles sont les véritables vertus de cette poudre qui, d'après le baron, pourrait changer la face du monde, car celui qui l'ingère, serait soumis à une sorte d'extase religieuse....
"J'ai le sentiment confus que les choses auraient peut-être pris une toute autre tournure si j'avais exaucé le vœu du baron von Malchin. Je ne l'ai pas fait, et il me semble que je me suis exclu moi-même de tout ce qui s'est produit ensuite. A l'heure qu'il est, je me rends compte que je n'ai été jusqu'au bout qu'un simple spectateur (...) L'ironie du sort a voulu que ce soit précisément moi qui me retrouve dans cette chambre d'hôpital, victime du tournant monstrueux et inexplicable des événements, blessé, fiévreux, et à moitié paralysé".
Sauf que le roman prend dès le début un tour particulier. Il commence dans un hôpital où Amberg vient de se réveiller après quelques mois de coma. Le personnel médical semble ne pas croire son récit et pense que sa logorrhée est une conséquence de son traumatisme. Dès lors, le mystère s'épaissit, et aux côtés d'Amberg, le lecteur tente de comprendre. Rêve ? Folie ? Expérience véridique ? Les frontières sont poreuses, et l'auteur entretient le doute avec brio.
La Neige de saint Pierre est un roman écrit en 1933 qui a été interdit par les nazis dès sa parution car il aborde des thèmes tels que la religion, le pouvoir, et la manipulation de masse pour accéder au pouvoir. Empruntant quelques codes du genre fantastique, Leo Perutz propose au lecteur une histoire forte qui met en évidence une complète maîtrise du sujet et de ses personnages, tout en entretenant le trouble.