vendredi 4 novembre 2016

La File Indienne, Antonio Ortuno

Ed. Christian Bourgois, traduit de l'espagnol (Mexique) par Marta Martinez Valls, octobre 2016, 231 pages, 18 euros.

Glaçant



Alors qu'elle s'apprête à passer la frontière américaine avec sa fille pour un séjour à Disneyland, Irma est rappelée pour se rendre à Santa Rita où on vient de tuer froidement des réfugiés centraméricains.
Irma est assistante sociale pour la CONAMI (Commission Nationale de Migration), organisme mexicain gérant les problèmes migratoires sur le territoire. Sur le terrain de ces violences, elle doit non seulement protéger sa fille, mais aussi s'habituer à ses nouveaux collègues, dont Vidal avec qui, dès leur rencontre, se met en place un jeu de séduction. Cette relation qui s'intensifie au fil des pages est d'autant plus importante pour Irma qu'elle sort d'un mariage douloureux dans lequel son ex-mari, sous couvert d'une façade parfaite, se montrait totalitaire et manipulateur. D'ailleurs, le roman lui donne parfois la parole en le représentant comme le porte-parole des "bons citoyens", de manière tout à fait ironique.

Très vite, Irma comprend que se qui se joue à Santa Rita n'est que la partie visible de l'iceberg. Oui, le lieu est une plaque tournante de l'immigration clandestine ; oui, la population locale est de plus en plus raciste, mais cette violence extrême n'est pas le fait d'une contestation locale, mais plutôt d'un règlement de compte entre passeurs, et dans le coin, c'est La Sur qui gère le flux de clandestins.
Bien consciente qu'elle ne pourra pas mener son enquête sans aide, la jeune femme se lie avec un reporter, Joël Luna, dont l'habitude de fouiller dans ce genre d'enquête lui est précieuse. Tout en tentant d'aider Yein une des survivantes du drame, Irma avance petit à petit vers une vérité qui fait froid dans le dos, oubliant en chemin sa réserve de fonctionnaire et les règles qu'elle est censée devoir respecter.
"Tout ça, la soumission, l'abjection, le désastre, tu connais, mais savais-tu vraiment ou avais-tu jamais remarqué que les fonctionnaires avancent toujours en file indienne, une file indienne échelonnée entre le point A et le point B, ainsi que pour le retour, et qu'ils exécutent des mouvements qu'aucune personne saine d'esprit n'essaierait de reproduire".

La File indienne est un roman étrange construit à la fois comme un documentaire et une fiction parfois très violente. On y trouve, au gré des chapitres, des extraits de communications officielles de la CONAMI, des points de vue du chef des passeurs, de Vidal ou encore d'Irma, qui apparaît comme l'héroïne centrale du récit.
Avec cynisme, Antonio Arturo désigne les "bons citoyens" ceux qui, sous couvert d'affabilité, sont de monstrueux racistes capables du pire pour montrer leur supériorité raciale.
Difficile de trouver un coin de paradis dans la narration afin que le lecteur puisse reprendre sa respiration. On sort groggy de ce texte qui ne nous épargne rien et pointe du doigt la corruption locale et nationale concernant le trafic d'êtres humains.
Alors, La File indienne devient un polar noir ou progressivement la notion de bien devient complètement hors de propos.