"Comment écrire" est l'atelier d'écriture que doit mener le personnage principal, à Athènes, pendant deux jours. De ce personnage, on ne sait rien, ou presque : c'est une femme, écrivain, la cinquantaine, divorcée avec deux enfants maintenant adultes. Ce court séjour dans la chaleur suffocante de la capitale grecque lui permet de faire le point sur sa vie. Elle a cette faculté d'attirer les confidences des inconnus qui la rencontrent.
"Les êtres humains ont une capacité d'égarement apparemment infinie" et se confient facilement si la situation et le contexte le permettent. Ainsi, à travers les témoignages qu'elle recueille, notre héroïne (mais peut-on la qualifier ainsi ?) prend de l'épaisseur. Car, à travers les récits de vie des autres, ce sont des fragments de sa propre existence qui sont dévoilés. Pour elle, les souvenirs familiaux ont toujours été "des objets qui glissent des mains", c'est pourquoi il est difficile pour elle de se positionner, prendre du recul, analyser ce qu'elle a vécu, puis décider de ce qu'elle veut être désormais. Dès lors, elle emploie fréquemment des expressions tels "j'imagine, j'ignore, je cherche, me figurai-je, j'observais", dévoilant son éternelle hésitation quant à la fixité des événements.
Les récits de son voisin d'avion, de son ami Paniotis éditeur indépendant et de la très féministe Angeliki lui permettent de ne plus confondre l'être et le paraître. Comme l'exprime Paniotis :
"Les gens intéressants sont comme des îles, dit-il : on ne tombe pas sur eux par hasard dans la rue ou à une fête, il faut savoir où ils se trouvent et s'arranger pour les rencontrer".
Faye (c'est son prénom qu'on apprend lors d'une discussion au téléphone dans le dernier quart du roman) veut échapper à l'illusoire qui a peuplé sa vie. Lors d'une excursion en mer sur le bateau de son voisin d'avion, elle se met à nager loin et longtemps afin d'éprouver cette sensation de liberté qui lui a tant manqué par le passé :
"Un désir de liberté, une envie soudaine de mouvement qui me tiraillait comme si j'avais un fil attaché à la poitrine".
Échapper à ce qu'elle a pour prendre connaissance de ce qu'elle peut découvrir. Peu à peu, les contours de Faye sont moins flous. A force d'écouter les autres, l'impression de miroir qu'elle renvoie permet au lecteur de se faire une idée du personnage. Son image s'échappe de moins en moins ; elle se pose et se définit. Même avec les étudiants de l'atelier d'écriture, l'image qu'elle renvoie ne laisse pas indifférent...
L'action se situe dans la Grèce actuelle, celle qui se meurt à petit feu, victime de la folie capitaliste des hommes. Le récit se déroule dans le Athènes si bien décrit par Christos Chryssopoulos, reflet intime de l'échec vécu par tant de personnes :
"Du reste, partout dans Athènes il voyait les signes de ses échecs ou du moins des choses qui avaient pris fin et qui ne lui apportaient aucune possibilité de renouveau".
Dans Disent-ils, Rachel Cusk ne laisse rien au hasard, que ce soit le lieu de l'action et l'atmosphère qui donnent sans cesse l'impression au lecteur que des données lui échappent. Ce sont les confidences des différents personnages qui donnent de l'épaisseur au contenu, et par un intelligent jeu de prismes, permettent d'établir le portrait de Faye. Dans sa traduction, Céline Leroy a saisi toute l'importance du vocabulaire et du champ lexical utilisés par l'auteur : rien ne se pose, on est dans l'instant, le reste semble flou, imprécis ; des détails manquent ou le passé se recompose au gré de celui qui le raconte. Seule Rachel reste l'élément vraiment tangible de cette aventure finalement solitaire et fragmentée.
Ed. de L'Olivier, mars 2016, traduit de l'anglais (USA) par Céline Leroy, 203 pages, 21 euros.
Titre originale "Outline"
Titre originale "Outline"