Ed. Métailié, Collection bibliothèque hispanique, traduit de l'espagnol (Colombie) par René Solis, mars 2016, 270 pages, 20 euros.
Pour la petite Isolda, le monde extérieur c'est celui qui se trouve au delà du parc du château de ses parents, construit dans la ville de Medellin. Elle prend plaisir à fuir sa maîtresse particulière pour rejoindre les amirages, ces petites créatures des bois qui lui permettent de découvrir un autre monde :
"Elle traverse la forêt comme un astronaute, lâchée dans l'espace, émerveillée par le scintillement des lucioles et escortée par cinq amirages qui fouillent dans les arbustes avec leurs cornes pour éloigner les petites bêtes qui pourraient l'effrayer".
L'imagination d'Isolda n'a pas de limites. Fillette hyper protégée par ses parents Dita et don Diego, elle ne connaît rien du monde extérieur. Elle n'a pas deviné qu'un gamin des rues, Mono, l'observe des heures entières, perché en haut d'un arbre. A force de la regarder, il en est tombé amoureux. Elle représente pour lui la compagne idéale. Depuis, il a développé l'obsession de l'approcher enfin et de lui parler, sauf qu'avec le temps, don Diego a pris la décision d'envoyer sa fille étudier loin du château afin de la protéger de ce genre de rencontres.
Adulte, Mono n'a jamais oublié Isolda et voue une rancune tenace à son père. A cause de lui, il n'a pu s'élever, changer de vie, persuadé qu'Isolda l'aurait aimé :
"Tout ce que j'ai fait a dépendu de moi, c'est moi qui avait décidé de l'aimer. Vous savez bien don Diego, que l'amour est une obsession, ce monstre indomptable qui a le souffle des tempêtes, qui monte, descend et croît, comme disait le grand Florez".
Maintenant, c'est au tour de don Diego de connaître l'enfermement. Mono et ses complices l'ont enlevé et le séquestre en attendant une hypothétique rançon. Chaque soir, le jeune homme entre dans la cellule de celui qui, dans son imagination, aurait pu être son beau père. Il lui parle d'Isolda, de sa beauté, de son monde extérieur, de son amour pour elle, mais Diego, impassible, se moque de cet homme.
"Moi, elle ne me plaît pas tant parce qu'elle est une princesse que parce qu'elle est spéciale. Elle chante à voix haute dans la maison de poupées, elle danse toute seule dans le jardin enveloppée dans un voile et elle passe des heures dans la forêt. Les gens disent qu'elle est bizarre parce qu'elle est seule".
Le face à face, au fil du temps, prend une tournure inquiétante, car le vieil homme est têtu et ne veut pas partager avec son ravisseur le souvenir de sa fille.
De son côté, Dita fait venir de Belgique un certain Marcel, détective privé et médium, qui pourra peut-être retrouver Diego et enfin résoudre le mystère du parc :
"Il y a des bruits étranges dans le jardin, des voix dont on ne sait pas d'où elles viennent, des pas rapides, et un sifflement dont on ne connaît pas l'auteur".
Le Monde extérieur est l'histoire d'une obsession amoureuse d'un gamin des rues pour une fille dont la famille incarne la richesse et la réussite. Mono est le jeune homme qui veut sortir de sa condition quitte à employer une manière forte et illégale. En lui résistant, don Diego le remet à sa place, l'empêche de rêver d'Isolda et de se l'approprier, car tous les deux sont dépendants de sa mémoire. Le temps ne résout rien ; il polit la douleur mais ne l'absorbe pas. Seuls les souvenirs donnent encore l'impression d'être vivant. Ne pas oublier Isolda, c'est donner foi à ce qu'on a toujours cru.
Jorge Franco offre un roman passionnant, sociétal, basé sur une histoire vraie, qui pointe déjà du doigt les dysfonctionnements de la Colombie pendant les années 70, et qui deviendront par la suite les bases d' un système ingérable et dangereux.