Sous la violence, l'harmonie
Maggie, photographe ayant grandi dans le comté d'Oconee, là ou serpente la Tamassee, n'aurait jamais cru qu'une de ses photos allait provoquer tant de remous. Dépêchée par son journal sur les bords du fleuve impétueux qui lui rappelle tant de souvenirs, elle doit suivre le bras de fer entre Herb Kowalsky et les habitants du comté. Cinq semaines plus tôt, Kowalsky a perdu sa fille, noyée dans la Tamassee, à cause d'un ressaut hydraulique. Depuis, il cherche à récupérer son corps coincé au fond du fleuve et, pour se faire, par l'entremise d'un entrepreneur, il désire poser un barrage amovible afin de faire baisser momentanément le niveau de l'eau. Or, la Tamassee est protégée par une loi fédérale, la Wild and Scenic River Act, qui empêche quiconque de perturber son cours naturel :
"La Tamassee est la dernière rivière de cet État qui coule librement. Une rivière sauvage, ça ne peut ni se renouveler, ni se reconstituer une fois qu'elle a disparu".
La photo de Maggie représente un père, au bord de la rivière, perdu, en train de contempler fixement le cours de l'eau. Après sa publication, accompagnée d'un article de Allen Hemphill, ancien journaliste du Washington Post, certains de ses vieux amis y voient un parti pris. Luke Miller, écologiste virulent et ancien petit ami de Maggie, pense qu'elle a renoncé à tous ses idéaux de jeune fille. Pourtant, pour Maggie, cette prise de vue ne reflète que le miroir de l'âme d'un père :
"Ce n'est qu'une histoire de lumière, d'angle et de grain, me suis-je dit. Ce que font les photos pour moi ou qui que ce soit d'autre n'est pas un but. Je ne suis qu'une observatrice qui montre ce qui est déjà là".
Revenir dans le comté, c'est aussi faire face aux douleurs du passé : le deuil de sa mère, ses relations délicates avec son père, les retrouvailles avec Luke. Maggie veut bien accepter le fait qu'elle soit atteinte de "frigidité émotionnelle", rempart qui lui permet de rejeter les responsabilités sur les autres et l'empêche de changer de point de vue. Sauf que son père est désormais mourant et qu'il lui faut enfin avoir une discussion digne de ce nom avec lui, cet homme qu'elle hait profondément, depuis l'accident de son frère Ben quinze année plus tôt.
"Être reliée à papa, c'était comme avoir un membre infecté qu'aucun antibiotique ne pouvait guérir. Ce que je voulais, c'était couper le membre, mais aussi cautériser".
La jeune femme doit tout assumer : son amour naissant pour Allen, son opposition avec son père, l'ambiance électrique autour de la rivière, mais elle ne se sent pas assez forte pour être sur tous les fronts.
Encore une fois, Ron Rash propose un roman brillant où une nature enchanteresse et trompeuse s'oppose à la nature versatile de l'être humain. Justement, c'est au bord de la Tamassee qu'on aspire à la tranquillité, au côté immuable des choses. Pénétrer dans la Tamassee, c'est "comme pénétrer dans l'éternité". Des baptêmes y sont célébrés ; elle revêt un caractère sacré qu'il ne serait pas bon de perturber. Maggie revient sur sa terre natale qu'elle a quittée jadis, se sentant trop oppressée par le côté majestueux des montagnes environnantes et la violence du fleuve. Les années ont passé, mais les blessures de la jeunesse n'ont toujours pas cicatrisé. Le temps n'a pas réussi à poser un baume apaisant sur ses douleurs de jeune fille.
A la fois roman social et familial, Le Chant de la Tamassee, s'adresse aux lecteurs épris de grands espaces dans lesquels l'homme est finalement bien peu de choses.
Les autres livres de l'auteur à découvrir ici : http://virginieneufville.blogspot.fr/search/label/Rash%20R