jeudi 7 janvier 2016

Deep Winter, Samuel W. Gailey

Ed. Gallmeister, collection Totem poche, traduit de l’anglais (USA) par Laura Derajinski, janvier 2016, 320 pages, 9.80 euros.

Sous la neige, des hommes


Pour Danny, paisible habitant de la bourgade de Wyalusing en Pennsylvanie, les jours passent et se ressemblent. De toute façon, il a horreur de l'imprévu car il est incapable de la gérer. Danny est débile léger, un attardé comme le disent certains. Tout le monde le connaît et sait pourquoi il est comme ça. Pour beaucoup, il a été un défouloir, maintenant, il est celui qu'on évite :
"Il laissait les gens tranquilles car c'est ainsi qu'il fallait faire. Il était différent de tous les autres, en ville. Il le serait toujours - il l'avait accepté. La plupart des gens le dévisageaient ou traversaient la rue s'ils le voyaient arriver sur le trottoir."

Pourtant Danny est incapable de violence, tout le monde en a conscience. Responsable de la laverie, il vit chichement dans une petite chambre au dessus du local. Son rayon de soleil, c'est Mindy, la serveuse du bar où il prend son petit déjeuner quand il a assez d'argent. Il la connaît depuis l'enfance. Ils sont nés le même jour, et elle l'a toujours protégé de la méchanceté des autres. Adulte, elle continue à lui accorder de l'attention. Avec elle, il oublie un peu sa différence, il devient "une vraie personne".
Pour son anniversaire, il marche cinq kilomètres jusqu'au mobil home de la jeune femme, résolu à lui offrir un oiseau en bois qu'il a lui-même taillé. Sur place, il tombe sur l'adjoint du shérif, Sokowski, une brute sans foi ni loi, et son copain Carl, homme faible qui le suit comme une ombre. Danny tombe à pic. Un drame vient d'arriver. Sokowski, ivre mort, vient de tuer Mindy qui se refusait à lui. La présence opportune de Danny sur les lieux du crime va lui permettre d'en faire un coupable idéal. Sokowski incarne la loi, Danny celui qui est capable de tout.

Pendant vingt-quatre heures interminables, Sokowski et Carl peu à peu rongé par la culpabilité, vont s'employer à s'innocenter, quitte à laisser du sang sur leur passage. Il faut à tout prix que le shérif Lester et que Taggart, le flic fédéral arrivé à la rescousse, croient en la culpabilité de Danny. Or tout se complique quand ce dernier, dans un sursaut de lucidité, écoute sa petite voix intérieure, et fuit. Commence alors une traque, véritable chasse à l'homme au milieu des paysages immaculés de neige, dans laquelle chacun des protagonistes aura l'occasion de faire le bilan sur sa vie et ses agissements.

Deep winter est un polar construit en entonnoir, implacable et glaçant. A travers ses personnages, Gailey décrit une mini-humanité: le bon, la brute, le lâche, le justicier, l'alcoolique qui culpabilise, le sage. A Wyalusing, il n'est pas bon d'être différent. Mieux vaut se fondre dans la masse. La justice se fait à coup de fusil, entre hommes, les yeux dans les yeux, ou de dos si on est un lâche.
Ce roman pourrait être un western moderne. Sa violence n'est jamais choquante, tant elle incarne le manifeste possible de nos semblables.
Deep Winter est le pendant moderne de Des souris et des hommes de Steinbeck sans pour autant avoir la même histoire, et Danny le sosie fictionnel de Lenny dans son comportement.