mercredi 23 septembre 2015

Octobre, Zoé Wicomb

Ed. Mercure de France, collection Bibliothèque étrangère, traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Edith Soonckindt, 304 pages, 23 euros.

 La couleur de l'enfance.


Pourquoi Mercia est-elle retournée en Afrique du Sud alors que sa vie est en Ecosse, à Glasgow, depuis des dizaines d'années?
Pourquoi rettrouver la mentalité à part de la région du Namaqualand en général et de Kliprand en particulier, alors qu'elle s'est sauvée pour enfin pouvoir vivre sa vie?

"Oui, d'un point de vue géographique elle vient de loin, elle a traversé un continent, mais ce à quoi ils font vraiment allusion, c'est à ce qu'ils considèrent être un fossé culturel, comme si son acheminement entre alors et maintenant était le gage d'un développement personnel dont l'aboutissement aurait été son installation en Europe."

Simplement, Mercia a reçu une missive de son frère Jake resté au pays, dans laquelle il lui demande de venir l'aider. Ce courrier arrive à un moment de sa vie où le vide semble l'envahir. Son compagnon, Craig, est parti pour fonder une famille avec une femme plus jeune, et elle procrastine dans ses travaux de recherche qu'elle doit rendre à l'université. Alors, ce voyage apparaît vite comme le moyen de faire le point et, pourquoi pas, enfin abandonner l'idée de vouloir mettre en mots son histoire familiale. En plus, Octobre est le mois le plus lumineux dans l'hémisphère sud...

"Maître de conférence en littérature britannique, universitaire, donc Mercia pense forcément aux textes et à leur filiation et s'angoisse à l'idée d'être influencée par ses lectures. Plus grave encore, elle n'a plus envie de poursuivre la rédaction de sa propre histoire. Ainsi qu'elle l'a toujours subodoré, il est inutile de raconter la vérité lorsque l'on est aux prises avec la fiction et ses possibilités."

A Kliprand, elle est accueillie par sa belle sœur Sylvie et leur petit  Nikki, mais son frère reste invisible. Saoul du matin au soir, il reste allongé à cuver. Sylvie a organisé sa vie en fonction de son épave de mari depuis que ce dernier les a menacés de les tuer. Ces deux là ne se sont jamais aimés vraiment, mais enfermés par les us et coutumes locales, ils envisagent leur union comme une punition divine dont il faut accepter les conséquences. Par contre, ils aimeraient que Mercia puisse s'occuper de l'éducation du petit garçon, enfant chétif et craintif que la mère couve systématiquement, et que le père rejette.
Contrairement à elle, son frère Jake est resté avec le père veuf, pétri de convictions religieuses, et faisant de la violence un argument pour mettre ses enfants dans le droit chemin. Rempli de haine, incapable de faire table rase du passé malgré la mort de la figure paternelle, Jake se noie dans l'alcool pour oublier.

"La culpabilité - voilà la couleur de leur enfance. Elle courait comme une teinture au fil de leurs journées, zébrant les activités les plus innocentes, colorant tout de la crainte du pêché et de celle de décevoir leurs vertueux parents."

S'occuper de son neveu, de son frère, et tenter de comprendre le fardeau qui ronge Jake, sont le nouveau quotidien de Mercia. Les mots qui se bousculent sans cesse dans sa tête s'agencent enfin. La cacophonie disparaît. Mais écrire l'histoire de cette famille meurtrie est-il vraiment un moyen de se déculpabiliser de sa fuite en Europe? Sauf que Mercia ne connaît pas le secret qui hante tant Sylvie et son mari...

Octobre est un roman sur la culpabilité, la famille et les racines. Et comme on est en Afrique du Sud, au sein d'une famille métis, le passé politique du pays a aussi une influence certaine. C'est pourquoi, la traductrice littéraire, Edith Soonckindt, a du travailler avec cet anglais si particulier, pétri de néologismes et de termes afrikaans, parfois intraduisibles. N'empêche que la traduction est fluide, le récit se lit d'une traite, le lecteur se plonge sans difficultés dans les pensées de Mercia, ses souvenirs, et son quotidien familial.

Zoé Wicomb a aussi écrit un livre sur l'écriture et la force de cette dernière lorsqu'elle s'impose en vous. Elle devient alors un procédé thérapeutique, une forme de thérapie pour juguler les souffrances passées et apprivoiser les douleurs actuelles. Est-on cependant obligée de transformer sa vie en fiction pour l'accepter avec ses béances et ses secrets?

Octobre est un très beau roman, maîtrisé et abouti, qui interroge le lecteur et lui offre un moment rare de lecture.