En route vers la vraie vie...
"J'ai parfois tenté de me laisser submerger par de mystérieuses dépressions, par des problèmes susceptibles de donner du sens à ma vie. J'ai essayé d'avoir l'air sombre, de me plonger dans des tourments insondables pour le commun des mortels, et alors les gens m'auraient vue comme une belle et tragique énigme. Mon ambition se résumait à ça, pendant un temps: être impénétrable. J'ai compris plus tard que, de toute façon, j'avais toujours été quelqu'un d'incompréhensible pour mon entourage, sauf que ce n'était ni romantique ni forcément à mon avantage."
La vie d'Hester Day, dix-huit ans, est une ballade. Chaque événement peut être raccroché à une chanson, un refrain, une parole, d'où sûrement, l'usage de donner aux trois quart des chapitres une référence musicale.
Mais, ce roman raconte aussi la balade d'Hester Day, son voyage de plus de deux semaines avec son époux Fenton, un illustre inconnu pour elle, et son cousin Jethro, un gamin de dix ans passionné de science-fiction. Ce road-movie dans Arlène, le camping-car de Fenton, va être l'occasion pour l'héroïne, de mûrir, et de donner enfin un sens concret à son existence.
Hester et sa famille, c'est une longue histoire de dialogues de sourds, d'incompréhension et de faux semblant. Sa mère voit en elle une droguée et une alcoolique, alors qu'elle n'a jamais touché aux deux, et dans le même temps, elle lui met la pression pour rentrer à l'université. Le père, toujours en retrait, semble être indifférent à sa fille; quant à sa grande sœur, elle ne partage avec elle que le terrain familial:
"Ma famille était une entité étrange. Très souvent, elle me faisait l'effet d'une monstrueuse machine, avec des roues dentées qui tournent, des leviers qui s'abaissent et se lèvent, de la vapeur qui s'échappe de tous les côtés."
Très tôt, son entourage lui a renvoyé une image négative d'elle-même, au point que, à l'aube de ses dix-huit ans, Hester est devenue une parfaite cynique. Or, cela cache un énorme besoin d'attention et d'amour. Alors, elle se dit que si elle adoptait un enfant, elle pourrait non seulement aimer, mais aussi être aimée...
Pour adopter, il faut se marier. C'est chose faite, un peu plus tard, avec un copain rencontré à la bibliothèque. Fenton accepte, non pas parce qu'il trouve Hester canon, mais il voit en elle "un matériel littéraire", une source d'inspiration unique à ses projets d'écriture. Seulement, dans la vraie vie, ces deux-là ne se comprennent pas:
"Ce mariage était une porte de sortie. Ou bien une porte d'entrée (...) Je ne crois pas que deux êtres puissent être plus mal assortis que nous et pourtant aussi satisfaits que nous l'étions. "Imbéciles heureux", il me semble que c'est ça le terme technique."
Néanmoins, lorsque sa mère découvre par hasard cette union incongrue, Hester préfère partir loin de chez elle, histoire de faire le point. Au même moment, Jethro, qui était en visite avec ses parents décide de la suivre.
S'ensuit alors un road movie de hasard sur les longues routes américaines où Fenton et Hester vont bien être obligés d'apprendre à se connaître et échanger. Ils vont faire la connaissance de personnages singuliers tels un Jesus Freak qui se promène avec son énorme croix en bois et prodigue ses talents de médium, ou encore un couple de fermiers très accueillants et capables aussi de dénoncer leur prochain...
La ballade d'Hester Day est la mélodie du passage à la vraie vie, des adieux à l'adolescence pour affronter l'âge adulte, celui qui "laisse des bleus après chaque coup". Cette vie, aux yeux de l'héroïne, a de la valeur, car l'indifférence n'y a pas sa place.
Drôle, pétillant, intelligent, ce roman propose aussi des dialogues entre une mère et sa fille dont certains sont d'anthologie, qui pourrait être ceux d'un théâtre d'avant garde.
Hester est un personnage fort attachant, fragile malgré son sens inné de la réplique, qui cache un besoin urgent d'attention et d'amour derrière une carapace de plomb. Elle porte l'intrigue à bout de bras du début jusqu'à la fin, le tout avec brio.
A conseiller.