"C'est juste une histoire."
"Viens avec moi, dit Burns. On montera en altitude dans les Rocheuses - peut-être jusqu'à la Shoshone Forest dans le Wyoming. Je connais une cabane, une bonne cabane douillette à l'abri du vent, au pied d'un glacier. En hiver, elle est isolée par les neiges - personne ne peut en approcher à moins de trente kilomètres à la ronde. On se fera une bonne réserve de viande de cerf et d'élan séchés, une bonne réserve de bûches de pin et on restera tranquilles à regarder tomber les flocons. Je composerai des chansons et tu pourras travailler sur ton traité, ou je ne sais pas sur quoi tu bosses en ce moment."
En 1955, alors que les voitures et les camions envahissent les routes américaines, Burns est toujours sur son cheval à mener une vie de cow-boy typique, loin de tout, surtout de ses congénères, et de la société de consommation. C'est en lisant par hasard le titre d'un journal qu'il apprend que son meilleur ami, Paul Bondi, a été condamné à deux ans de prison pour avoir refusé de se soumettre à ses obligations militaires. Il décide de l'aider.
Bondi est un modèle, un penseur, pour Burns. Marié, papa, il n'a pourtant jamais renoncé à ses idéaux, et les couchent par écrit:
"Je pense éprouver davantage de loyauté envers des choses concrètes et tangibles, comme ma femme, mon fils, envers toi ou moi, qu'envers des abstractions massives comme la Démocratie, Dieu, ou les Etats-Unis d'Amérique."
Pourtant, lorsqu'il voit arriver Burns à la prison du Comté, il pense de suite que c'est un lamentable gâchis. Le cow-boy s'est arrangé pour se faire arrêter lors d'une rixe dans un bar, afin d'être emprisonné pour pouvoir aider Bondi à s'évader. Seulement, son ami a accepté sa condamnation, et même s'il l'aide à limer les barreaux de la cellule, il ne le suivra pas dans sa fuite.
Pour Burns, la liberté est vitale, ne pas voir les paysages de l'Ouest américain le condamnerait à une mort certaine. Et puis, il ne réussirait pas à supporter plus longtemps le gardien psychopathe Giutterez.
De fait, il ne comprend pas la décision de Bondi. Comment appliquer ses idées entre quatre murs de prison? Comment lutter contre cette société qui vous happe et vous transforme? Partir loin de toute forme de civilisation est une question de survie pour le cow-boy:
"Je vois mon propre pays crouler sous la laideur, la médiocrité, la surpopulation, je vois la terre étouffer sous le tarmac des aéroports et le bitume des autoroutes géantes, les richesses naturelles vieilles de milliers d'années soufflées par les bombes atomiques, les autos en acier, les écrans de télévision et les stylos bille. C'est un spectacle bien triste."
Qui aurait pu croire que l'évasion de Burns déclencherait une chasse à l'homme d'envergure au sein d'un paysage superbe et sauvage? Pour le shérif Johnson, "sa sympathie instinctive pour l'homme traqué était motivée par une pitié méprisante plus proche du dégoût que de la compassion." Néanmoins, au fil des heures de la traque, l'étau se resserre. Burns s'accroche comme il peut à sa liberté, tentant de faire de la nature et du silence des alliés:
"Le silence était souligné, sans être rompu, par les notes claires, fluides et précises de l'oiseau moqueur."
"C'est dans cette vallée de fantômes et de fumée et de chagrins étouffés, que sur son cheval le cow-boy s'enfonça, par un matin d'octobre pas si lointain que cela."
Seuls sont les indomptés est une ode à la nature insoumise et à la liberté, dans laquelle le cow-boy en est l'incarnation humaine.
Laura Derajinski et Jacques Mailhos nous proposent une traduction de superbes pages de descriptions de la nature sauvage et souveraine, que l'homme n'arrive pas encore à dompter.
Edward Abbey a écrit son roman comme une ballade, celle du brave cow-boy, qui, un jour, se retrouve absorbé par un monde qui le dépasse.
Les amoureux de la nature, de l'Ouest américain, de l'aventure y trouveront leur compte.
Bonne lecture!