jeudi 28 mai 2015

Le paradis des animaux, David James Poissant

Fragments de vies


Le paradis des animaux est un recueil de douze nouvelles formant un cycle. La première, L'homme-lézard, et la dernière Le paradis des animaux, mettent en scène le même personnage, une décennie après.
Dans l'univers de David James Poissant, les codes sont inversés, et les priorités décalées. Ainsi, ne faut-il pas s'étonner de voir un père laisser son gamin de cinq ans seul dans la maison pendant quelques heures en pleine tempête tropicale, trop occupé à vouloir sauver de son sort un alligator blessé et mis en cage. Ou bien, il  faut considérer comme normale la confrontation entre un jeune homme et le loup qu'il a invité à boire un café.
Chaque nouvelle est une énigme. Chaque nouvelle est une immense métaphore que le lecteur est libre d'interpréter à sa façon. Comme le suggère La géométrie du désespoir, la vie ressemble à un diagramme de Venn, c'est à dire à la réunion de deux cercles. Rien n'arrive par hasard.

Fort de ce postulat, chaque histoire décortique des thèmes récurrents : le remords, la culpabilité, le sentiment de perte, la lâcheté. Tous les personnages se trouvent à la croisée des chemins, à un moment de leur existence où le malheur a frappé, ou un événement marquant qui les oblige à reconsidérer leur quotidien. Chez Poissant, les cousins s'aiment en cachette dans un parc à bisons, les adolescents se barricadent dans le sous-sol en attendant la fin du monde, la championne de plongée est amputée d'un bras... Tous sont des "oiseaux blessés" qui ont besoin d'attention mais n'arrivent pas à trouver les mots pour le formuler :
"Vous voulez sans doute savoir pourquoi je désire mourir, mais quelle réponse pourrais-je fournir qui soit assez bonne pour vous qui désirez vivre ?
Le mettre sous forme de mots, c'est comme essayer d'expliquer ce qui ne va pas entre les gens, ce qui nous empêche de communiquer - je veux dire, de vraiment communiquer - les uns avec les autres" .(100% coton)


Souvent, en fil conducteur, l'auteur met en scène un animal. Qu'il soit alligator, hippopotame, bison, chien, loup, ou lézard venimeux, ils servent de transmetteur entre adultes qui n'arrivent plus à se parler :
"Le loup ne fait pas semblant (...) Il gronde, et pour la première fois, je m'interroge sur le risque que court un homme quand un loup s'invite à sa table. Je tiens à toutes les parties de mon corps." (Ce que veut le loup)
L'animal ne triche pas. Il suit son instinct, il ne réfléchit pas, au contraire des êtres humains, trop occupés d'abord à penser à eux pour pouvoir se tourner vers les autres.
Le bonheur est un concept trop compliqué. Comment l'atteindre puisque la vie ressemble à une partie de poker ?
" J'avais oublié comment être heureux (...) Quand au bonheur, au vrai bonheur, au bonheur sans nuages, il essaya de se souvenir de la dernière fois où il avait été heureux, mais il ne réussit qu'à se rappeler la main de son père sur sa tête". (Amputée)


Alors, il faut tenter d'atteindre un sentiment qui se rapproche du bonheur, afin d'effacer celui de vide persistant. Dans Les nudistes, deux frères vont tenter de renouer; dans la très belle nouvelle Le paradis des animaux, Dan traverse les Etats-Unis en voiture pour aller au chevet de son fils mourant ; enfin, dans La géométrie du désespoir, un couple essaye de surmonter la perte d'un nourrisson.
Chacun des personnages de Poissant porte son fardeau et trouve son équation personnelle pour vivre avec.

Parfois flirtant avec le genre fantastique, parfois hypnotique (Le garçon qui disparaît), parfois bel et bien ancré dans la société et le quotidien, Le paradis des animaux est un recueil de nouvelles éclectique qui ne laisse en aucun cas indifférent. Sauter dans le précipice pour en finir serait une solution, mais Poissant laisse entrouvrir la possibilité d'autre chose : une vie avec ses écueils et ses joies ; la vie tout simplement.

A lire sans tarder.

+++ pour James Dean et moi, Le garçon qui disparaît, Le paradis des animaux et La géométrie du désespoir.

Ed. Albin Michel, Collection Terres d'Amérique, traduit de l'anglais (US) par Michel Lederer, mai 2015, 330 pages, 25 euros.