Et si on supprimait la douleur émotionnelle?
Dans un futur proche, la société est aseptisée. Depuis quelques temps, il est possible d'éradiquer la douleur émotionnelle et affective afin de vivre sans stress. Ce processus s'appelle l'éradication, et à chaque fois qu'un patient le subit, un petit point bleu très brillant apparaît à l'intérieur du poignet.
Parfois, la démarche est volontaire, parfois non. Quand on estime qu'un de nos proches souffre trop, il est possible d'appeler le C.E.D.E pour l'emmener afin d'éradiquer sa douleur.
"On les voit parfois intervenir dans la rue. Ils se déplacent à toute allure en navette jaune qui stoppe brutalement sur le lieu de l'urgence. Quatre individus vêtus d'une combinaison jaune, au dos de laquelle sont inscrites en noir les lettres C.E.D.E, en sortent avec assurance. L'un deux transporte une valise noire. Ils se dirigent vers leur cible qu'ils maîtrisent avec fermeté."
Chaque citoyen est une cible hyper connectée parfois de force dans un vaste Réseau sur lequel il vaut mieux mettre régulièrement à jour son statut afin de ne pas attirer l'attention. C'est dans ce monde sans âme que Silas et Astrid vivent une belle histoire d'amour. Leurs émotions sont vraies, leur histoire n'est pas feinte, et ils veulent préserver ce qu'ils vivent. Tant pis si les amis du lycée les regardent d'un mauvais œil parce qu'ils oublient de raconter leur vie sur le Réseau. Parce que son père est un fervent adepte de l'éradication et qu'elle le voit peu à peu se déshumaniser, Astrid refuse de subir un jour le processus. Elle préfère connaître la souffrance, le manque ou le chagrin, quitte à être une paria.
Or, un jour, la jeune fille est renversée par une voiture. Silas, très choqué, est emmené par les manteaux jaunes du C.E.D.E afin d'y être éradiqué. Certes, il se souviendra d'Astrid, mais sans le chagrin de son décès et du deuil.
"Je réalise à peine maintenant qu'elle manque à cette Terre.
Et c'est comme si quelque chose buguait en moi, comme s'il manquait un espace à l'intérieur de mon âme pour accueillir ce qui m'arrive. Mais qu'est-ce qui m'arrive?"
Tout ce que vit Silas désormais est sans goût, sans saveur. Il reste d'un calme Olympien. Si Astrid le voyait, elle ne le reconnaîtrait pas...
Pourtant, un élément va le faire réagir. Une rumeur court selon laquelle Astrid était une terroriste qui appartenait à un groupuscule revendiquant la dangerosité de l'éradication. Pour le jeune homme, s'en est trop, il faut réhabiliter la mémoire de celle qu'il a aimé, même si ses souvenirs s'estompent avec le temps.
Et si Astrid n'était pas morte, comment accueillerait-elle le nouveau Silas avec un point bleu luminescent au creux du poignet?
"Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé.Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima?" (René Char, Allégeance)
Florence Hinckel propose un roman d'anticipation à deux voix afin de faire varier les point de vue et permettre un paysage complet de la société qu'elle décrit. Et ce monde là fait froid dans le dos. Sous couvert de zénitude et de bien être, la population est en fait sous surveillance constante, obligée de gérer ses émotions pour ne pas attirer l’œil des "amis virtuels".
Finalement, la famille est elle-même menacée, provoquant des tensions et favorisant l'individualisme à la place de l'entraide. Astrid en est une victime, c'est pourquoi la seconde partie où elle est la narratrice est bien plus captivante que celle racontée par Silas.
#Bleue pose la question que posait Adoux Huxley en 1932: quels humains devenons-nous? Devons -nous tout accepter pour se sentir bien alors que tout va mal?
Enfin, le roman raconte une belle histoire d'amour, sans clichés, qui subsiste au-delà des barrières virtuelles, et propose une fin où le terme espoir prend toute sa valeur.
A partir de 12 ans.