mardi 10 février 2015

Le paradoxe de Fermi, Jean-Pierre Boudine

Ed. Denoël, collection Lunes d'Encre, janvier 2015, 192 pages, 18 euros.

"Je suis maître de moi comme de l'Univers" (Cinna, Corneille)


Le paradoxe de Fermi tel qu'il est énoncé en  fin de roman dans un dialogue entre les protagonistes, et expliqué dans la postface, n'est qu'un prétexte pour justifier en partie un effondrement mondial plus vaste dans lequel l'apparition de la vie et la civilisation n'ont fait qu' accélérer le processus et apporter une extrème instabilité au système.

Le roman est le vaste monologue de Robert Poinsot, qui, réfugié au fin fond de l'arc Alpin, a décidé de retranscrire par écrit les événements qui ont secoués la planète ces dernières années. Notre narrateur est un survivant de la crise systémique qui a ébranlée les places boursières et provoquée l'effondrement de nos modèles économiques:
"A une vitesse effarante, tout s'arrêtait, l'argent (une grande partie de l'argent) disparaissait et la pratique du troc, échange de biens ou de services, prenait sa place.
Tout allait incroyablement vite. En quelques semaines, tous mes repères, tous les repères ont disparu."

Au départ, personne n'y croyait. Encore un krach boursier, comme ceux de 1929 ou 2008. L'Humanité y survivra... sauf que non.
"Le chaos peut être source d'angoisse, mais aussi d'heureuse irresponsabilité." Robert Poinsot raconte d'abord une période de torpeur, de réorganisation de sa vie en fonction de ses besoins, bref une autre façon d'appréhender le quotidien. Mais, très vite, un spectre plus inquiétant s'est installé:
"Je note ici une impression aussi vaque que prégnante. Si les événements quittent le lit des habitudes, on entre petit à petit dans un autre monde, où le chaos prend une place démesurée. Un spectre dépourvue de conscience, de volonté, de but conduisait l'orchestre du monde."

On n'en est pas encore aux pages oppressantes de La Route de Cormac McCarthy, mais le narrateur décrit lui aussi une situation de fuite, loin de Paris et des grandes villes, pour se protéger des bandes de pillards.  Beauvais devient, pour un temps, un lieu de repos, pour ensuite devenir le point de départ pour une destination plus au nord, vers les îles nordiques. Là, Robert et ses compagnons d'infortune vont rencontrer les membres d'une communauté, l'Ordre, un vaste réseau d'informations et d'échanges. Persuadés que l'Humanité touche à sa fin car elle ne pourra reconstruire ce qu'elle a détruit, elle prône la stérilité et la certitude que l'espoir n'existe pas:
"Même si notre tentative suppose et implique un espoir, chacun de nous doit travailler sans espoir. L'espoir fait vivre, disait-on autrefois. Mais dans notre situation, il est vrai que l'espoir épuise, égare, tue."

Au fond de sa grotte, Robert est las. L'enchainement des événements a fait de lui un être solitaire, réfugié en altitude, loin de ses congénères, loin aussi d'un monde à l'agonie:
"Je ne suis pas Robinson. Lui, il espérait les hommes, moi je les crains. Lui, il était fixé par la force, moi je suis obligé d'errer. Écrire mon histoire (si absurde que ce soit) a plus de sens pour moi que fabriquer ceci ou cela. Tout ce qui me reste d'énergie une fois trouvée ma pitance, je le consacre à mon histoire."
Alors que deux cents milliards d'étoiles existent dans notre Galaxie, et que plusieurs centaines de milliards de planètes orbitent autour d'elles, comment est-il possible que nous n'ayons pas encore été visités par de nombreuses civilisations extra-terrestres? Le paradoxe de Fermi prend alors tout son sens dans une telle situation, et Robert se dit: "à nouveau , le sens est éteint. Je vais faire de même. L'homme ne vit pas de pain, il vit de sens."

Le paradoxe de Fermi est un roman post apocalyptique à une seule voix très intéressant car l'effondrement mondial repose sur un modèle sociétal que nous connaissons actuellement. Certes, quelques raccourcis fictionnels paraissent assez bancals en théorie, mais suffisent à donner de l'élan à un récit cohérent et humain, écrit par un survivant qui a banni le mot espoir de son vocabulaire. En dernière partie du roman, les pages consacrées au Paradoxe de Fermi énoncé par le Prix Nobel éponyme, raviront les inconditionnels du genre et les amoureux des énigmes mathématiques et métaphysiques.

A découvrir.