Partir et revenir.
Americanah, c'est le surnom donné à Ifemelu (Ifem) parce qu'elle est partie terminer ses études aux Etats-Unis, après avoir tenté en vain de suivre un cursus universitaire chez elle, au Nigéria, mis à mal par les grèves à répétition des professeurs non payés.
Cela fait maintenant quinze ans que la jeune femme est installée sur le nouveau continent. Elle a obtenu une bourse à la prestigieuse université de Princeton, et son blog "Raceteenth ou Observations diverses sur les noirs américains par une noire non américaine" est un succès. Pourtant, depuis quelques temps, son coeur est ailleurs; il retourne au pays:
"Elle le sentait depuis un certain temps, un sentiment d'épuisement tôt le matin, de flou, de non-appartenance. Il était chargé d'attentes informulées, de désirs mal définis, de brèves visions des existences différentes qu'elle aurait pu vivre, et au fil des mois il s'était transformée en un violent mal du pays."
Au Nigéria, elle a laissé ses parents, ses amis, mais surtout son grand amour, Obinze, avec qui elle a coupé les ponts suite à un traumatisme sentimental. Obinze devait la rejoindre, mais il n'a jamais réussi à obtenir un visa. Lui, ce grand amoureux de l'Amérique a vu son désir d'émancipation refoulé, et a tenté sa chance en Grande-Bretagne. Malgré le silence et la distance, il s'est toujours demandé si Ifem réussissait à s'épanouir dans sa nouvelle vie.
C'est grâce à un travail de nourrice auprès des enfants de Kimberly qui "croyait dans le bonheur des autres car cela signifiait qu'elle aussi pourrait un jour l'atteindre", et à l'amour de son jeune et riche amant Curt, qu'Ifem va pouvoir s'installer correctement et obtenir un passeport américain. Elle se fait une répétition d'une jeune femme franche (parfois trop), courageuse, déterminée, mais surtout très lucide sur les mentalités et l'opinion générale par rapport à l'immigration. Seulement, ce qu'elle gardera de son long séjour c'est:
"le plus agréable aux Etats-Unis, c'est la notion d'espace, c'est ce que j'aime le plus, croire en un rêve, c'est un leurre, mais tu y crois et c'est tout ce qui compte."
Elle n'a pas oublié le Nigéria et y retourne, d'une part pour y faire sa vie, d'autre part pour y retrouver Obinze, devenu un agent immobilier important, marié et père de famille:
"Depuis quelques mois, il avait l'impression d'être surchargé par tout ce qu'il avait acquis, - la famille, les maisons, les voitures, les comptes en banque - et était pris, de temps en temps, de l'envie de crever cette bulle avec une épingle, de tout dégonfler, pour être libre."
Cette liberté s'incarne avec le retour d'Ifem au pays. Que sont les possessions matérielles sans son grand amour auprès de soi? Quelques échanges de mails ont bien eu lieu entre eux, mais rien de bien concret. Vont-ils se revoir, continuer à s'aimer? La jeune femme va-t-elle de nouveau s'habituer à la ville grouillante de Lagos, elle, l'Americanah aux yeux de ses amies restées sur place?
Or, Obinze et Ifem ont en commun le sentiment qu'"un ailleurs existe, hors de leur portée". Ils sont avides de certitudes, n'ont pas grandi "dans le faire", mais "dans l'être".
Americanah est une très belle histoire d'amour sur fond de critique sociale. L'auteure pose la question de l'identité: celle des racines, la plus intime, et celle de l'exil, choisie ou non.
Le ton n'est jamais grave, on sourit souvent, et par le prisme des articles du blog, Ifem pose un regard dur, perçant et ô combien lucide sur "être un humain de couleur dans un pays de blancs". Elle explique qu'elle s'est rendue compte de la couleur de sa peau seulement aux Etats-Unis, la forçant par là à reconsidérer ses rapports aux autres.
Enfin, le roman offre de très belles pages sur le Nigéria, jeune pays en proie aux tourments de sa jeunesse, de ses dirigeants, des coupures d'électricité à répétition, mais pleine de vie, d'espoir (malgré tout) et ignorante du sentiment d'abandon et de solitude.
Ce troisième roman de Chimamanda Ngozi Adichie est une merveille.