Grandir, malgré tout
"Quand elle a la mélancolie, Ismaël se sent seul."
Elle, c'est la maman d'Ismaël, et la mélancolie, c'est sa maladie; c'est en tout cas comme cela que le petit garçon l'appelle. Papa n'a pas résisté, il est parti. Trop de larmes, trop de temps passé dans le lit, "trop de mots gris et tout mouillés, des mots que l'on sortirait de la machine à laver, trempés, essorés puis chiffonnés."
Maman et Ismaël vivent à deux la semaine. Depuis quelques temps, le petit garçon ne se réveille plus dans son lit. Peut être a t-il le pouvoir de voler entre les deux chambres? Alors, il attend un signe extérieur lui certifiant qu'il possède des pouvoirs magiques...en vain.
Pendant ce temps, sa mère s'enfonce inexorablement. Ismaël a beau cacher les mouchoirs dans ses poches pour se débarrasser symboliquement de la mélancolie, rien n'y fait. Finalement, la maladie, dans la tête de l'enfant, c'est peut être seulement un problème de poches:
" C'est pour cette raison que sa vie, il la rêve avec des poches, des tas de poches et des oreillers pour tout bien cacher."
Un matin pourtant, la femme de ménage le sort brutalement de la maison . Pompiers, samu, et ce bras qui pend au bord du lit...
Maintenant Ismaël vit avec papa, mais l'absence de maman reste "une éclipse géante au dessus de sa tête et à l'intérieur de son cœur."
Le garçonnet a envie à la fois de se souvenir et d'oublier ce qu'il a vécu. Papa lui achète un chien, un nouveau compagnon avec lequel il pourra partager ses états d'âme. Une nouvelle aventure commence pour lui!
La mère fragile et malade, le père impuissant qui fuit le domicile, l'enfant au milieu témoin et acteur à la fois des événements, c'est la trame qu'on retrouve (grosso modo) dans Cette bête que tu as sur la peau (Editions du chemin de fer) mais les nuances sont différentes.
Chez Marie Chartres, les enfants grandissent trop vite malgré eux. Leurs parents oublient qu'ils ne sont que de jeunes gens incapables de saisir toute la portée de ce qu'ils voient.
La dépression, la mélancolie est un thème essentiel. Elle détruit tout, à la fois celle qui en est atteinte, comme ceux qui vivent avec la personne malade.
Comment se reconstruire et grandir sans stigmate après le décès voulu d'un proche? L'auteure aborde ce sujet avec tact en adoptant le point de vue de l'enfant.
Ainsi, Ismaël redevient le centre des préoccupations, et non plus la mélancolie, maladie vénéneuse et étouffante.
Marie Chartres sait trouver les mots et les expressions pour évoquer avec douceur un thème terriblement violent. Ce petit roman a valeur de prise de conscience.
Bonne lecture à partir de 10 ans