mardi 1 juillet 2014

Chanson de la neige silencieuse, Hubert Selby Junior

Ed. de L'Olivier, traduit de l'anglais (USA) par Marc Gibot,  collection Replay, juin 2014, 13.9 euros, recueil de nouvelles.

"Il y a bien longtemps de cela, un homme m'a dit que refuser de rêver équivalait à vendre son âme."


Dans cet unique recueil de nouvelles de l'auteur, on retrouve les thèmes chers qui ont bâtis l'univers d'Hubert Selby Jr, sans pour autant retrouver la prose argotique systématique telle qu'elle a été mise en évidence dans Last exit to Brooklyn.
En effet, chaque récit a été écrit dans un style plus serein alors que les moments de vie décrits sont parfois aussi douloureux et les personnages mis en scène sont dans la détresse ou l'attente. L'auteur y a mis beaucoup de son vécu personnel pour décrire chaque situation, mais  les quinze nouvelles ont un thème commun sous-jacent: la quête du bonheur.
"Il ne voulait pas grand-chose, n'est-ce pas? Juste quelqu'un avec qui partager ce qu'il a. Curieux comme il paraît simple parfois d'être heureux, et comme tout peut devenir subitement compliqué."
Et ce bonheur se matérialise parfois avec un rien. Il peut être un manteau préférable à la chaleur d'un logis; il peut être un poème envoyé à un mari absent; il peut être la chute silencieuse des flocons ou la résurgence de souvenirs heureux... Or, le bien être est de courte durée, car "ce genre de sentiment n'arrive pas sur commande; il suffit d'en jouir, de se laisser bercer par lui, de se détendre et de rigoler."

A force de vouloir se sentir bien, ou d'oublier pour un temps ses soucis, Selby Junior nous décrit des personnages qui basculent parfois dans le doute, la dépression ou l'alcoolisme. Ainsi, leur quête devient désespérée car de plus en plus éphémère voire impossible à atteindre. Que deviendra la mère internée dans la nouvelle Je suis bien sage? Est-ce que Harry, dans le récit Le bruit, allongé en position fœtale dans son lit, réussira à affronter le silence hostile?
Salarié, père de famille, laissé pour compte, chacun a droit à sa part de moment heureux, seulement, le temps joue contre eux, la solitude aussi:
"Il souhaitait une compagnie mais se trouvait réduit à la solitude, incapable de se demander pourquoi, ne sachant pas réellement s'il fallait se poser la question, plongé dans cette dimension angoissante du temps où le passé est déjà mort, alors qu'on ignore encore si l'avenir existe, cette dimension où même les souvenirs ne peuvent être évoqués, ou du moins trop vaguement pour qu'ils procurent le moindre réconfort."

En quinze nouvelles, l'auteur nous raconte la lutte inéluctable de l'homme à la recherche du bonheur. Parfois, cette quête se transforme en obsession, en superstition quitté à en devenir fou, en misant tout par exemple dans la lecture des billets dans les gâteaux chinois porte-bonheur, devenant victime alors d'une stupide superstition.
Souvent la lutte est vaine mais, pendant un temps, elle aura donné un sens à l'existence du protagoniste. Ce ne sont pas seulement la société et les autres qui forment les écueils à cette recherche éperdue de bonheur, notre propre moi peut devenir l'ennemi de tous les instants. Dans la nouvelle éponyme au titre du recueil, Harry lutte contre la dépression et la vie qui lui échappe. La contemplation de la neige qui tombe va enfin le faire réagir:
"Il continua à marcher,  suivant ses propres traces, ayant l'impression qu'il pouvait continuer ainsi éternellement, que tant que la neige continuerait à tomber silencieusement, il pourrait poursuivre sa route, et ce faisant, oublier ses soucis et ses ennuis, et toutes les horreurs passées et à venir."

Ainsi, le recueil s'achève sur une note d'espoir, le bonheur d'un instant d'un homme qui revient à la vie, au désir d'avancer. Et c'est ce qu'il faut retenir des nouvelles de Selby Junior: la possibilité en chacun de nous d'être heureux.
Nous sommes loin de la prose et des sujets des romans de l'auteur, Chanson de la neige silencieuse est un écrin poétique dans un monde difficile où l'être humain se sent de plus en plus perdu.