Navire hanté.
"Des nuages noirs s'amoncelaient partout autour de nous, jusqu'à envahir le ciel tout entier (...) Il n'y avait rien. Il n'y avait rien d'autre que de la glace à l'infini (...) Le Providence était tout entier encerclé de glace. De la proue à la proue, 'horizon renvoyait les quelques rayons de lune qui perçaient les nuages et le sol brillait d'une lueur aquatique et froide. La glace était partout, indéfinie, éternelle, lisse comme une surface laquée, et aussi bizarre que cela puisse paraître, il semblait que le bâtiment était apparu au milieu de cet océan solide."
Nathaniel Nordnight, second du capitaine Evergans sur le navire Providence, consigne son aventure sur un carnet de bord. Point de date, point de repère spatio-temporel car la glace est infinie, et le soleil apparaît et disparaît sans prévenir. Le peu de rayons donne une lumière grise uniforme. Pas facile alors pour l'équipage de trouver le sommeil.
Confronté à un phénomène inattendu et inexplicable, le capitaine dévot a cependant une réaction très terre à terre: rationnement, surveillance et envoi d'un groupe en éclaireur. Sauf que les cauchemars apparaissent, les tentacules de glace envahissent le navire, la fatigue mine les hommes.
L'ennemi est invisible mais bien présent. Nordnight voit ses compagnons sombrer dans la démence et mourir. La lucidité du début laisse place aux hallucinations, aux cris d'effroi dus aux cauchemars à répétition. Peu à peu la folie collective s'installe.
Alors, quand les réserves de nourriture sont épuisées, plus rien ne peut sauver ce qui reste de l'équipage:
"La faim nourrissait nos démences et la folie nos éclairs de lucidité."
Manger devient une obsession, une question de survie même si survivre dans ces conditions est illusoire. Manger l'autre, manger l'ami qui vient de mourir, est le dernier rempart qui s'effondre:
"Ce gamin qui aimait rire. Je mâchai. Qui avait une jolie voix. Je mâchai. Qui avait toute la vie devant lui. Je mâchai. Qui était heureux. Je déglutis bruyamment. Silence."
L'auteur pose la question de la folie. Collective ou individuelle, elle transforme peu à peu la personne et les perceptions qu'il peut avoir de l'extérieur. Confronté à une situation exceptionnelle après une tempête, l'équipage du Providence devient son propre ennemi.
"J'étais dans le corps d'un autre" se rend compte Nordnight dans son carnet de bord. En lisant ces lignes, on ne peut que se rappeler nos classiques tels Maupassant ou Lovecraft. Salomon de Izarra est un jeune écrivain, on sent bien ses références littéraires.
Le texte est court (131 pages) mais haletant, parfois à la limite du supportable lorsque, par exemple, Nordnight décrit le bruit de la scie au contact des os humains. On sent une véritable recherche de style, la volonté d'impressionner le lecteur sur la capacité illimitée de l'esprit à nourrir sa propre démence.
Nous sommes tous morts est un récit qui fait froid dans le dos, curieux, parfois malsain, mais qui, à mon humble avis, ne renouvelle pas les lois du genre.