Ed Folio Gallimard, mars 2013, 624 pages, 8.4 euros
Porno chic et rasoir...
Le Système Victoria
est l’archétype même du roman qui fait parler de lui pour diverses
raisons justifiées ou non mais dont on laisse de côté les remarques
concernant la pauvreté du style et la récurrence des passages. On ne
peut pas nier la profondeur psychologique de ses deux personnages
centraux, et heureusement d’ailleurs car ils constituent « la colonne
vertébrale » du récit. De leur possible transparence dépendait la
vraisemblance de l’histoire.
David, le narrateur a ceci de particulier
qu’il cumule en lui toutes les contradictions : homme de gauche, il est
pourtant fasciné par le luxe et l’argent ; marié et père de famille, il
avoue s’être marié à Sylvie pour de mauvaises raisons liées à la maladie
de son épouse ; enfin, homme volage, il refuse le terme « tromper sa
femme », et pour s’en persuader consomme l’adultère l’après-midi, de
temps en temps.
Or, sa rencontre avec Victoria va bouleverser toutes ses
idées reçues. Au-delà de l’aspect physique, l’attrait se fait aussi par
ce qu’il symbolise : DRH dans une multinationale, Victoria est la
représentation même du capitalisme dans tout ce qu’il a d’arrogant et
d’ostentatoire. Alors, pour David « baiser » Victoria, c’est aussi
« baiser » ce qu’il déteste… Effet assez réducteur pour un homme
persuadé que cette aventure sera sans lendemain.
Or,
il s’avère que David est littéralement happé par cette femme, au point
de reconnaître lui-même qu’il est devenu « sa pute ».
Pour se justifier
de sa faiblesse, il pense que cette relation ne doit pas être perçue
comme un minable adultère, mais "comme un moment suspendu de la réalité,
un rêve sans cesse renouvelé". Et cette histoire qui, jusque là, tenait
la route, est littéralement gâchée par cet aspect « porno chic » qui
sombre dans le glauque.
D’hôtels de luxe, on se retrouve dans un minable
cinéma porno, d’une sexualité « bridée », on se retrouve avec un des
deux partenaires qui ne sait plus très bien où il va. Car Victoria, à
force de tout assumer, assume aussi ses fantasmes les plus inavouables
au risque de s’y perdre. Et David, devenu « futur salarié » de sa
maîtresse, le suit comme un petit chien.
Et c’est là que le bât blesse,
car la littérature érotique est un art, et non pas une accumulation de
scènes de plus en plus lourdes. Eric Reinhardt, peut- être par pur effet
de provocation, répète invariablement les scènes de cul (passez-moi
l’expression) au vocabulaire limite, si bien que le lecteur, à force de
lire à chaque page « bite », « chatte », « mouille », « éjaculer », « se
faire prendre », « suce » et bien d’autres, s’ennuie très vite et se
demande où se trouve le véritable intérêt de ces répétitions.
S’amorcent
alors un sentiment d’écœurement mais aussi de gâchis car le sujet était
en or, mais il est pollué par des retranscriptions de SMS entre nos
deux tourtereaux qui ne servent à rien, et la répétitions de corps à
corps de deux êtres qui ne se comprennent plus.
Finalement, David
devient « ce pauvre type » qui, à force de croire pouvoir rompre à tout
moment, s’est laissé emporter par sa faiblesse au point de tout perdre.
Quant à Victoria, elle incarne « la femme totem », le fantasme ultime
dont la silhouette haut perchée par ses talons aiguilles cache une
personnalité complexe qui n’a pas su être aimée à sa juste mesure.