mardi 3 juin 2014

La mauvaise pente, Chris Womersley

 Ed. Albin Michel, traduit de l'anglais (Australie) par Valérie Malfoy, mai 2013, 352 pages, 20 euros

Inexorabilité de la chute


La Mauvaise pente de Chris Womersley Lee et Wild sont deux personnages en perdition, sur "la mauvaise pente". L'un est un gamin élevé par sa sœur après le décès brutal de leurs parents, ayant une prédisposition presque malgré lui à la violence, à montrer aux autres qu'il est un homme à craindre. L'autre est un médecin radié de l'Ordre, morphinomane depuis longtemps, considérant qu'il ne fait que suivre le chemin tracé par son alcoolique de père. "J'ai renoncé à renoncer. C'est mon destin", pense-t-il. Incapable d'assumer son addiction, il se drogue pour oublier: "je me drogue pour ne plus souffrir de me droguer."
Ces deux-là ne devaient jamais se rencontrer. Or, leurs fuites respectives font que leurs destinées se croisent dans un motel minable. Lee est blessé salement. Wild se planque depuis qu'il ne s'est pas présenté à son procès. Le médecin va soigner le voyou, propose même de l'emmener chez un collègue et ami qui les accueillera à coup sûr dans sa maison de campagne, refuge et havre de paix.
Simplement, Lee voyage avec de l'argent qui ne lui appartient pas. Du coup, un tueur à gage, Josef, se lance à sa poursuite.

L'intrigue de La mauvaise pente est secondaire finalement. L'essentiel est ailleurs. Il se trouve dans la psychologie de ses deux personnages aliénés à leur façon, et désespérés, parfaitement conscients de leur fin prochaine et tentant malgré tout de tirer encore quelque chose de leur pitoyable vie.
La prose donne l'impression d'un temps qui s'écoule au ralenti, voire même suspendu. Les phrases sont longues, entrecoupées de virgules, fondant le décor avec l'état d'esprit des anti-héros, puis deviennent sèches, tendues. Lee sent sa chute prochaine, accentuée par la douleur de sa blessure, mais aussi par son incapacité à devenir un homme bien:
" Il avait perdu toute idée de la place qu'il occupait dans l'espace, absorbé qu'il était par l'immédiateté de la douleur. Cette douleur était sans fond, assurément trop vaste pour se loger dans un corps aussi insignifiant que le sien?"
Avec son compagnon de galère, il va tenter de mettre des mots, de mettre en place un dialogue, lui qui n'a jamais su manier le langage:
"Il sent le lourd fardeau du langage, un outils qu'il n'a jamais appris à manier."
La chute de Wild se fait dans la fuite. Or, toute cavale s'arrête un jour. Ses doses de morphine l'obsèdent et régulent son quotidien. Ce calmant injecté est "un compromis. Une forme de douleur contre une autre."
La douleur de Lee est physique, celle de Wild est morale. N'est-il pas devenu celui qui prétend: "je suis comme l'eau qui s'écoule et tous mes os sont disjoints."?

Chris Womersley signe un roman noir, très noir, ou la lueur d'espoir s'éteint très vite. Tous les personnages se noient dans le bourbier du désespoir dont la métaphore ultime se situe dans la scène de Lee et du cheval. Même les éléments naturels sont contre eux. La nuit, le froid, la neige sont omniprésents dans le récit, comme pour anesthésier un peu la violence décrite dans sa plus cruelle crudité.
Et pourtant, parfois le récit, propose des pauses, des nuances, des moments suspendus situés souvent dans le passé. Mais la peur reprend vite le dessus: la peur de ce qu'il sont devenus, la peur aussi de ce qu'ils sont capables:
"La peur que les hommes ont des uns des autres, aucune femme ne pourra jamais la comparer. Car ils sont les seuls à savoir de quoi ils sont capables."

Valérie Malfoy offre une traduction toute en nuance, préservant la force poétique du style. Chris Womersley signe un anti conte de fées moderne ou l'espoir, la volonté, l'amour n'existent plus.

A découvrir sans tarder.

Ma lecture du premier roman traduit en France de Chris Womersley, Les affligés, ici:http://virginieneufville.blogspot.fr/2013/11/les-affliges-chris-womersley.html