Ed. Fayard, septembre 2013, 336 pages, 20.9 euros
Le 1er juin, Marilyn Monroe aurait eu 88 ans. A l'occasion de cet anniversaire, Fragments de lecture publie, tout au long de la semaine, des articles sur l'actrice américaine, dont la mort prématurée et étrange pour certains, a contribué à la légende.
Approche littéraire
Plus
de cinquante ans après sa mort, l’histoire de Marilyn Monroe ne cesse
de fasciner. Certes, pour le lecteur intéressé par le sujet, cette
biographie ne détient aucun scoop, aucune nouveauté, affiche même un
certain parti pris pour une des théories concernant les causes de la
mort de la star. Pourtant, ce livre diffère par une approche résolument
littéraire de la vie de Marilyn. En effet, Claude Delay use sans abuser
de sa culture des lettres pour faire des rapprochements parfois osés
avec des grands personnages théâtraux ou romanesques, n’hésitant pas à
citer Duras, Genet, Sartre, Beckett ou encore Faulkner, pour ne citer
qu’eux, afin de mettre en évidence le fait que Marilyn Monroe était bel
et bien un personnage fictif sous lequel se cachait une Norma Jean Baker
avec une âme en peine.
La couverture du livre illustre bien la
double personnalité que la jeune femme avait forgée. La photo de Bert
Stern montre une Marilyn Monroe faisant corps avec le photographe,
espiègle, et rieuse, n’hésitant pas à dévoiler sa cicatrice issue d’une
opération de la vésicule biliaire. Or, au-delà de cette cicatrice
visible, une autre se cachait, tapie dans l’ombre, endormie grâce aux
antidépresseurs et à l’alcool. Cette cicatrice-là, Marilyn n’arriva
jamais à la refermer, devenue un gouffre béant absorbant le peu
d’énergie et de volonté qui lui restait.
Claude Delay, en bon biographe,
commence à la source. On comprend tout de suite que le climat familial
et les traumatismes de l’enfance sont restés des sables mouvants. Celle
qu’on appelait la « Mmmmm girl » au collège se forge une
carapace et décide de réussir coûte que coûte même si sa vie ne commence
pas sous les meilleurs augures. Sartre écrivait « le génie n’est pas un don, mais la façon dont on invente dans des circonstances désespérées ». Alors, Norma Jean s’invente une vie, devient Marilyn, navigue entre ses deux moi au point de s’y perdre :
« De la fusion à la confusion du je à
elle, deux vies de femme s’amarrent l’une à l’autre : l’enfant du passé
et la création de l’identité de l’actrice, un chagrin d’enfant dans un
corps qui n’est que sexe. Elle n’abdiquera jamais, ni ne trahira l’une
pour l’autre ».
Ainsi, elle incarne la pensée de Nietzsche : « il faut avoir du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse ».
Au-delà de la façade, Marilyn, « aussi inculte qu’une terre en friche
» selon Natasha Lytess, son mentor pendant un temps, va se réfugier
dans les livres. De ce fait, les multiples photos montrant la star en
train de lire n’est pas une supercherie. Ses livres, se plaisait-elle à
dire, étaient « sa résidence secondaire », un refuge pour celle
qui fut aussi une boulimique de culture. Ainsi, se marier avec Arthur
Miller, c’était aussi prouver à la face du monde qu’un homme de lettres
était capable de s’intéresser à elle, la blonde sexy un brin écervelée…
Cependant, le « mentir-vrai »
cher à Aragon va la rattraper, les médias vont s’en charger. Non, sa
mère n’est pas morte car elle paye ses frais médicaux en hôpital
psychiatrique ; oui, elle a bien posé nue au tout début de sa carrière
pour pouvoir manger à sa faim ! Commence alors le long processus de
distanciation : Norma Jean va se sentir étrangère au personnage de star
qu’elle s’est forgée. Elle n’hésite pas à dévoiler :
« J’ai l’impression que tout cela
arrive à quelqu’un qui se trouve juste à côté de moi. Je le sens, je
l’entends, mais ce n’est pas vraiment moi ».
Claude Delay, dans ce miroir inversé, y voit une représentation du personnage de Winnie, dans O les beaux jours de Beckett, ce fait d’« être en apesanteur que la terre cruelle dévore ».
Les clichés ont la vie dure, et Claude
Delay lutte contre eux, avec la force de sa plume, pour transformer
l’actrice en personnage résolument littéraire. Sa vie aurait pu être un
roman, Joyce Carol Oates l’a bien compris en écrivant Blonde.
Marilyn Monroe a été perpétuellement en quête d’elle-même. Son statut
d’actrice ne suffisait pas à combler le trou béant en elle. Elle a fini
par abhorrer ce « quelqu’un » qu’elle était devenue, laissant la voie
libre à la destruction. L’auteure cite Proust pour illustrer cette fuite
en avant :
« Les chagrins sont des serviteurs
obscurs, détestés, contre lesquels on lutte, sous l’emprise de qui on
tombe de plus en plus, des serviteurs atroces impossibles à remplacer et
qui, par des voies souterraines, nous mènent à la vérité et à la
mort ».
Marilyn Monroe, la cicatrice
est bel et bien une biographie, mais c’est aussi, à mon humble avis, une
œuvre de réhabilitation de la star. Finalement, sa mort étrange
contribue au mythe et illustre à merveille cette phrase de Fitzgerald : « toute vie est bien entendu un processus de démolition ».