mardi 8 avril 2014

La malédiction de la Méduse, Erik Emptaz

Ed. Grasset, mai 2005, 295 pages, 19.8 euros 

Au bout de soi


Tout le monde connaît "l'énorme "tableau de Géricault représentant quinze hommes sur un radeau de fortune tentant désespérément de prévenir un bateau au loin. Ce roman raconte l'histoire de Jean Baptiste Savigny, chirurgien enrôlé à bord de la Méduse, frégate en route pour le Cap-Vert, et survivant de cette terrible histoire.

Beaucoup de romans se sont inspirés d'un tableau ou plutôt l'auteur invente une histoire possible à partir d'un tableau. Là, c'est différent. Le naufrage de la Méduse en 1816 et la découverte de quinze survivants sur un radeau de fortune fit scandale car, non seulement le naufrage (qui aurait pu être largement évité) était dû à un capitaine alcoolique, mais aussi, le radeau, remorqué au départ par les canots de sauvetage, a été abandonné sciemment afin de permettre "aux gens de qualité" de sauver leur peau. 
Savigny, étudiant en chirurgie, embarque un peu par hasard comme marin de "la Société philanthropique des explorateurs du Cap Vert". Une déception amoureuse et une nuit de beuverie ont eu raison de sa volonté d'un autre avenir. La vie à bord n'est pas trop pénible, mais tout se complique lorsqu'il faut évacuer le bâtiment, enlisé sur un banc de sable pourtant bien connu des cartes maritimes de l'époque. 
Savigny reste donc avec plus de cent quarante autres compagnons sur le radeau construit à la hâte. Mais, vite lâchés par ceux qui devaient les protéger, ces hommes vont vivre (pour les derniers survivants) trois semaines d'enfer...
Dans un langage parfois fleuri mais qui n'entache en rien le contenu, l'auteur raconte l'histoire à l'origine du tableau, pour terminer ensuite sur sa réalisation. 
Ce qui est très agréable, c'est que le récit fourmille d'anecdotes bien au fait de la mentalité de l'époque. Très bien construit, la détresse et le malheur se comprennent dans la description des visages des survivants plutôt que dans la description froide de faits terribles. 
Savigny reste lucide: "quand le malheur ne cesse de succéder au malheur, l'accumulation des calamités provoque une forme de sérénité désabusée", dit-il alors qu'il est est persuadé de mourir de faim sur le radeau. 
Justement, cette faim lancinante sera à l'origine d'un acte terrible que des gens "bien-pensants" leur reprocheront. Or, notre narrateur explique: "plus j'y réfléchis, plus je suis convaincu que la loi morale est un luxe de repus"
Il faut considérer ce roman comme un témoignage historique très bien documenté, bien écrit, et qui se lit avec plaisir de bout en bout