mardi 25 mars 2014

Le sel, Jean-Baptiste Del Amo

Ed. Folio Gallimard, janvier 2012, 368 pages, 7.4 euros

Écriture désincarnée


Les phrases sont lourdes: lourdes de sens, lourdes de silences et de non-dits. Le grand absent, le chef de famille, Armand, est mort depuis quelques mois, mais il est encore omniprésent dans les souvenirs de sa femme Louise et de ses trois enfants désormais adultes, Fanny, Jonas et Albin.
Armand, c'était à la fois un mari aimant qui, sans raison, pouvait se transformer en "homme-écorce" et devenir un tyran domestique: "leur famille portait le sceau du patriarcat, combien cet homme avait étendu son emprise sur sa descendance".
Albin a accepté ce fardeau tandis que Jonas en a choisi un autre, selon lui, l'homosexualité. Quant à Fanny, elle reste "à la surface des apparences, éthérée", réfugiée dans le paraître.
Pourtant, ce père haï était l'armature de leur vie, le chemin déjà tracé dont il était impossible de se dévier. Même la mort ne résout rien, et Louise ne tente même pas de justifier son comportement...
C'est une histoire dense sur une famille unie en apparence mais terriblement déchirée. Le père n'a pas failli dans son rôle de référent, mais dans celui de père aimant. Il laisse trois enfants devenus adultes  qui fléchissent sous le poids de la culpabilité ou du sentiment de n'avoir pas été aimé.
La prose est très belle, désincarnée, idéale donc pour interpréter les états d'âme et l'intime,mais, elle ne s'adapte pas à l'action, si bien que l'auteur se cantonne aux réminiscences du passé, aux souvenirs, aux introspections, tissant par ce biais une toile d'araignée étant censée représenter et justifier au lecteur les personnalités de Louise et ses trois enfants.
Or, une fois qu'on a compris que le père était un homme médiocre et intolérant, on tourne en rond à la recherche d'un peu d'action sans toutefois tomber dans un ennui total (comme l'avait suggéré bizarrement certains articles).
Ainsi, l'érotisme de certaines scènes devient un exutoire à la haine et à la violence où l'amour et la douceur y tiennent peu ou pas de place. Enfin, ce roman laisse un goût amer (le sel?) d'inachevé que même l'agencement de très belles phrases n'arrive pas à effacer.
Avis mitigé, donc, mais  roman assez intéressant à lire, pour sa forme notamment.