mardi 25 mars 2014

Une éducation libertine, Jean-Baptiste Del Amo

Ed. Folio Gallimard, mars 2010, 464 pages, 8.4 euros

Pêché de chair


En 1760,que fait-on lorsqu'on est né "fils de rien, produit de l'emboîtement d'une femme truie et d'une ombre sévère", et que l'on veut réussir à Paris en société?

 

Prix Goncourt du Premier Roman

 

L' éducation libertine, c'est celle de Gaspard, jeune quimpérois fraîchement débarqué à Paris, et prêt à tout pour gravir les échelons de l'échelle sociale. Il comprend vite que pour se sauver de la misère et des menaces de la capitale, il doit "vendre" son corps aux époux des "Marquises de Peu et des Duchesses de Rien". Cynique et las de la vie, Etienne de V l'initie à ce genre de vie, lui rappelant que "seules l'hypocrisie et la mondanité assurent la marche du monde".
 Simplement, au fur et à mesure de son ascension sociale, Gaspard y perd son âme en se considérant comme "un bougre travesti". Il lui manque l'assurance et la force d'esprit qui lui auraient permis de faire le clivage entre chair et conscience.
 En comprenant la "finitude des choses", Gaspard se perd, Gaspard se détruit et entre dans "une solitude assourdissante". 
Ce roman commence tout doucement. L'auteur prend la température de Paris en 1760, rend compte des mœurs de l'époque, des odeurs pestilentielles, de la difficulté de vivre, surtout l'hiver. Paris, c'est aussi la Seine, qui exerce sur Gaspard une influence considérable, véritable personnage qui revient régulièrement comme pour lui rappeler d'où il vient. L'écriture est charnelle, sensuelle, tout en rondeur et volupté. Cet effet de style agacera sûrement le lecteur habitué à une écriture plus contemporaine et directe, mais elle a le mérite de s'accorder admirablement avec le sujet traité. En lisant ce récit, beaucoup de références reviennent en mémoire: on pense à Valmont des Liaisons Dangereuses, tout en marquant les différences notoires entre les deux protagonistes; on pense au Parfum de Suskind pour les descriptions des odeurs de Paris et leurs influences sur les habitants; enfin on pense aussi aux Nuits de Paris de Rétif de La Bretonne pour les descriptions des errances noctambules de Gaspard. 
En conclusion, ce roman est surtout un incroyable portrait d'homme, sans cesse tiraillé entre ce qu'il était et ce qu'il est devenu,avec  les sacrifices concédés qui le "dévorent comme une gangrène"
Son maître, Etienne de V avait raison: "ce qu'il faut comprendre, c'est combien l'homme est versatile, stupide en société, indécis lorsqu'il est seul"
Gaspard est une incarnation possible de la réussite sociale, mais à quel prix? 
Bonne lecture!