Pêché de chair
En 1760,que fait-on lorsqu'on est né "fils de rien, produit de l'emboîtement d'une femme truie et d'une ombre sévère", et que l'on veut réussir à Paris en société?
Prix Goncourt du Premier Roman
L' éducation
libertine, c'est celle de Gaspard, jeune quimpérois fraîchement
débarqué à Paris, et prêt à tout pour gravir les échelons de l'échelle
sociale. Il comprend vite que pour se sauver de la misère et des menaces
de la capitale, il doit "vendre" son corps aux époux des "Marquises de
Peu et des Duchesses de Rien". Cynique et las de la vie, Etienne de V
l'initie à ce genre de vie, lui rappelant que "seules l'hypocrisie et la
mondanité assurent la marche du monde".
Simplement, au fur et à mesure
de son ascension sociale, Gaspard y perd son âme en se considérant comme
"un bougre travesti". Il lui manque l'assurance et la force d'esprit
qui lui auraient permis de faire le clivage entre chair et conscience.
En comprenant la "finitude des choses", Gaspard se perd, Gaspard se
détruit et entre dans "une solitude assourdissante".
Ce roman commence
tout doucement. L'auteur prend la température de Paris en 1760, rend
compte des mœurs de l'époque, des odeurs pestilentielles, de la
difficulté de vivre, surtout l'hiver. Paris, c'est aussi la Seine, qui
exerce sur Gaspard une influence considérable, véritable personnage qui
revient régulièrement comme pour lui rappeler d'où il vient. L'écriture
est charnelle, sensuelle, tout en rondeur et volupté. Cet effet de style
agacera sûrement le lecteur habitué à une écriture plus contemporaine
et directe, mais elle a le mérite de s'accorder admirablement avec le
sujet traité. En lisant ce récit, beaucoup de références reviennent en
mémoire: on pense à Valmont des Liaisons Dangereuses, tout en marquant
les différences notoires entre les deux protagonistes; on pense au Parfum de Suskind pour les descriptions des odeurs de Paris et leurs
influences sur les habitants; enfin on pense aussi aux Nuits de Paris
de Rétif de La Bretonne pour les descriptions des errances noctambules
de Gaspard.
En conclusion, ce roman est surtout un incroyable portrait
d'homme, sans cesse tiraillé entre ce qu'il était et ce qu'il est devenu,avec les sacrifices concédés qui le "dévorent comme une gangrène".
Son
maître, Etienne de V avait raison: "ce qu'il faut comprendre, c'est combien
l'homme est versatile, stupide en société, indécis lorsqu'il est seul".
Gaspard est une incarnation possible de la réussite sociale, mais à quel prix?
Bonne lecture!