Ed. Actes Sud, octobre 2011, traduit de l'espagnol par Marianne Millon, 409 pages, 23.4 euros
La gestuelle Shakespearienne comme technique policière
Suite
aux attentats de New-York, Madrid, et d’une mystérieuse attaque
nucléaire dans un quartier madrilène, toutes les polices d’Europe ont
radicalement changé leurs méthodes de travail. En partant du principe
que tout homme possède en lui un désir si puissant au point de pouvoir
tout entraver, chaque être humain est catégorisé par « un Masque », et
son penchant est identifiable grâce à une gestuelle bien précise.
Or, pour pouvoir accéder à ce
classement, le policier doit suivre une formation totalement basée sur
le théâtre Shakespearien. Chaque Masque correspond à un personnage
précis du répertoire, et sert de référence.
Ces forces de l’ordre d’un genre nouveau
s’appellent les Appâts. Leur particularité est de connaître Shakespeare
sur le bout des doigts, et de ce fait, grâce à la simple gestuelle de
la personne se trouvant en face d’eux, ils sont capables de trouver LA
parade pouvant la décontenancer et provoquer en lui une « disruption » :
« la disruption est une explosion du désir : tu plonges tellement dans
le psynome que c’est comme si tu perforais la terre et, soudain, tu vois
monter le pétrole comme un vomissement noir et visqueux ».
Sans pistolet, sans violence, le plaisir devient l’arme absolue…
Diana Blanco est le meilleur appât du
département de psychologie criminelle de Madrid, mais à force de jouer
des rôles différents pour pouvoir arrêter les pires sujets, elle se sent
plus actrice que policier, et se sent perdue :
« Habituée à feindre tant d’émotions, j’ai souvent eu du mal à savoir ce que j’éprouvais maintenant ».
De ce fait, elle désire se retirer, mais
un tueur en série, surnommé le Spectateur, tant sa personnalité semble
rassembler à elle seule beaucoup de Masques différents, l’en empêche.
Comme elle est la meilleure, elle seule peut le débusquer.
C’est un thriller d’un genre nouveau que
nous propose Juan Carlos Somoza. Grand admirateur de Shakespeare, il a
construit une intrigue dans laquelle le théâtre sert de base à
l’élucidation de l’enquête. Chaque chapitre fait référence à une pièce
bien précise, et de ce fait présente un désir en relation avec un
personnage shakespearien. Ainsi, plus l’appât est familiarisé avec
l’univers du dramaturge, plus il est susceptible de cerner « le
psynome » d’autrui.
La problématique avancée fait de ce
livre un roman inclassable car il use des pratiques théâtrales pour
définir ses personnages et faire avancer l’intrigue. Simplement, à force
de trop vouloir en faire, le surplus d’informations et de références
rend le récit opaque, et surtout, caricature dangereusement les
personnages au point que parfois, le lecteur a l’impression de lire la
description d’un spectacle de marionnettes, ou la superposition de
scènes jouées au ralenti. Enfin, la complexité des techniques avancée
pour neutraliser un meurtrier ne sert pas la trame principale qui
s’avère somme toute bien banale.
Finalement, Somoza a voulu mettre en
évidence que « la vie n’est qu’un théâtre » et que Shakespeare, en
dramaturge de génie, avait su mettre en scène toutes les nuances de
l’âme humaine.