"De toute façon, on allait où comme ça?"
Pénélope
gravite dans le monde de l’édition en tant que traductrice, participe à
des soirées mondaines, et croise beaucoup de monde. Or, Pénélope est
seule, depuis que l’écrivain à succès, Samuel, l’a quittée pour une
autre. Un soir, à une soirée organisée par son éditeur, elle croit
reconnaître un auteur occupé à dévaliser le buffet. Elle l’accoste, lui
parle, l’invite à boire un dernier verre chez elle… Lui, entretient la
confusion, accepte l’invitation, et finit dans son lit. Car, cet homme
en question n’est pas un auteur, mais un certain Johnny Paulette, un
ouvrier intérimaire, au bord de la marginalité, qui profite des
mondanités pour se nourrir à satiété.
Pénélope, le lendemain, a bien compris
la supercherie, surtout quand il la quitte en lui ayant subtilisé au
passage trois mille euros en liquide, mais part du principe que cet
inconnu l’a fait sortir de sa routine, et puis il est tellement aux
antipodes du monde qu’elle côtoie !
Johnny, à force de vouloir fuir la
drogue, s’y enfonce. Il se dit que l’appartement de son amante d’une
nuit serait un lieu sûr pour un sevrage. Elle accepte, et commence entre
eux une cohabitation où le silence est de mise. Les rapports se
cantonnent au superficiel et prennent des accents intimistes au petit
matin lorsque le jeune homme rejoint les draps de la femme mûre.
Lorsqu’ils se parlent, les mots affleurent, glissent, ne touchent pas
l’autre, comme s’il était important que chacun reste dans sa bulle, se
préserve de l’autre.
« Avec soulagement, elle se retrouva
dans la rue froide, inconnue parmi les inconnus. Les gens. Comme
c’était bien de ne pas les connaître, de ne pas les entendre, de ne rien
savoir, de leurs pensées. D’avoir ainsi la liberté de les croire
magnifiques, et aussi bien de les soupçonner du pire en cruauté, en
bêtise, mais rien de tiède ni de terne, rien de gris comme la vraie
vie ».
Avec le temps, Johnny devient un baume pour Pénélope. Il lui apporte de la couleur dans sa vie toute grise. Cependant, « les mots restent bien alignés dans sa bouche, débités sans timbre ni relief ».
Les principes sociaux ont la dent dure, ils ne sont pas issus de la
« même classe sociale ». A force, Johnny se révolte, claque la porte
avec un tonitruant « de toute façon on allait où comme ça, hein ! », mais rien n’est définitif en amour…
Juliette Kahane a écrit une histoire
d’amour impossible entre deux êtres que tout oppose. Toute tentative de
fuite à deux, vers une autre vie, est jugée « superlative » par
la protagoniste. Johnny provoque chez Pénélope une lutte constante
entre le désir et la raison. Le paraître joue aussi un rôle important.
Or, l’auteur brise aussi ce mythe de la superficialité en utilisant, en
arrière plan, un autre couple « bien sous tous rapports », quasi
fusionnel en public mais qui, en privé, est une véritable bombe à
retardement.
L’inconnu est à la fois l’homme
providentiel, venu de nulle part, capable d’aimer une femme meurtrie qui
ne sait plus vraiment aimer et qui croit que l’amour est un sentiment
dérisoire, mais l’inconnu c’est aussi ce désir utopique de ne pas
connaître le lendemain, de changer de vie, de routine, bref cet immense
espoir de faire des « si » conditionnels, des actes et des faits.
Tout en nuance, faisant des silences et
des regards des moments de dialogues, ce roman devient un exercice de
style sur l’incroyable difficulté d’aimer.