vendredi 7 février 2014

L'inconnu, Juliette Kahane

Ed. de L'Olivier, mars 2013, 156 pages, 16 euros

 "De toute façon, on allait où comme ça?"


 Pénélope gravite dans le monde de l’édition en tant que traductrice, participe à des soirées mondaines, et croise beaucoup de monde. Or, Pénélope est seule, depuis que l’écrivain à succès, Samuel, l’a quittée pour une autre. Un soir, à une soirée organisée par son éditeur, elle croit reconnaître un auteur occupé à dévaliser le buffet. Elle l’accoste, lui parle, l’invite à boire un dernier verre chez elle… Lui, entretient la confusion, accepte l’invitation, et finit dans son lit. Car, cet homme en question n’est pas un auteur, mais un certain Johnny Paulette, un ouvrier intérimaire, au bord de la marginalité, qui profite des mondanités pour se nourrir à satiété.
Pénélope, le lendemain, a bien compris la supercherie, surtout quand il la quitte en lui ayant subtilisé au passage trois mille euros en liquide, mais part du principe que cet inconnu l’a fait sortir de sa routine, et puis il est tellement aux antipodes du monde qu’elle côtoie !
Johnny, à force de vouloir fuir la drogue, s’y enfonce. Il se dit que l’appartement de son amante d’une nuit serait un lieu sûr pour un sevrage. Elle accepte, et commence entre eux une cohabitation où le silence est de mise. Les rapports se cantonnent au superficiel et prennent des accents intimistes au petit matin lorsque le jeune homme rejoint les draps de la femme mûre. Lorsqu’ils se parlent, les mots affleurent, glissent, ne touchent pas l’autre, comme s’il était important que chacun reste dans sa bulle, se préserve de l’autre.
« Avec soulagement, elle se retrouva dans la rue froide, inconnue parmi les inconnus. Les gens. Comme c’était bien de ne pas les connaître, de ne pas les entendre, de ne rien savoir, de leurs pensées. D’avoir ainsi la liberté de les croire magnifiques, et aussi bien de les soupçonner du pire en cruauté, en bêtise, mais rien de tiède ni de terne, rien de gris comme la vraie vie ».
Avec le temps, Johnny devient un baume pour Pénélope. Il lui apporte de la couleur dans sa vie toute grise. Cependant, « les mots restent bien alignés dans sa bouche, débités sans timbre ni relief ». Les principes sociaux ont la dent dure, ils ne sont pas issus de la « même classe sociale ». A force, Johnny se révolte, claque la porte avec un tonitruant « de toute façon on allait où comme ça, hein ! », mais rien n’est définitif en amour…
Juliette Kahane a écrit une histoire d’amour impossible entre deux êtres que tout oppose. Toute tentative de fuite à deux, vers une autre vie, est jugée « superlative » par la protagoniste. Johnny provoque chez Pénélope une lutte constante entre le désir et la raison. Le paraître joue aussi un rôle important. Or, l’auteur brise aussi ce mythe de la superficialité en utilisant, en arrière plan, un autre couple « bien sous tous rapports », quasi fusionnel en public mais qui, en privé, est une véritable bombe à retardement.
L’inconnu est à la fois l’homme providentiel, venu de nulle part, capable d’aimer une femme meurtrie qui ne sait plus vraiment aimer et qui croit que l’amour est un sentiment dérisoire, mais l’inconnu c’est aussi ce désir utopique de ne pas connaître le lendemain, de changer de vie, de routine, bref cet immense espoir de faire des « si » conditionnels, des actes et des faits.
Tout en nuance, faisant des silences et des regards des moments de dialogues, ce roman devient un exercice de style sur l’incroyable difficulté d’aimer.