Attend Curtil désespérément...
Un jour, début décembre, Carole reçoit une boule à neige par la poste. C'est le signe que son père, Curtil, est de retour; il va bientôt réapparaître au village natal en Savoie où son frère Philippe et sa sœur Gaby vivent encore. Elle, elle vit loin maintenant, à Saint Etienne, seule sans ses filles, parties en Australie, et un ex-époux qui avait besoin de voyager...
"Dès que je vois les cimes, j'ai le cœur qui se tend" se plaisait-elle à dire à son homme lorsqu'elle retournait chez les siens. Justement, peut-elle parler de famille? Son père disparaît et réapparaît, si bien que toute petite, elle a appris à "être nomade de lui"; sa mère est morte emportée par Alzheimer, et la fratrie ne se comprend plus. Alors, le père qui revient, c'est l'occasion de recoller les morceaux.
"Je suis née ici, d'un ventre et de ce lieu. Une naissance par le siège et sans pousser un cri. Ma mère m'a enterré mon cordon de vie dans la forêt. Elle m'a condamnée à ça, imiter ce que je sais faire, revenir toujours au même lieu et le fuir dès que je le retrouve."
Ce lieu c'est Val-Des-Seules où peut être une station de ski va voir le jour, très près à vol d'oiseau de la frontière italienne, si près que jadis, on raconte qu'Hannibal est passé par là avec ses éléphants.
Carole revient, loue un gite près de la scierie, et, en attendant le retour de Curtil, traduit un ouvrage de Christo, l'artiste qui voile la nature ou les monuments pour mieux les révéler.
Les jours s'écoulent, Curtil se fait attendre Une certaine routine s'installe; Carole réapprend à connaître Philippe et sa soeur Gaby qui vit avec une gamine de seize ans, la Môme, dans un bungalow de fortune. Chacun porte ses souffrances, ses non-dits, ses certitudes, mais s'ouvrir et en parler à l'autre, cela servirait à quoi?
Pour Carole, rester là c'est se mettre en danger, se remémorer le passé, l'incendie de leur maison, raviver son ancien désir pour Jean, le patron de la scierie. Pourtant, elle reste, pour cette répétition, cet intérêt qu'elle porte aux siens finalement.
"Être ici me rendait chaotique. C'était un processus."
Ce processus, c'est l'acceptation de soi, de sa nouvelle condition de femme quittée, indépendante. C'est aussi l'acceptation de "la part de ciel de l'autre", ce besoin qu'on a que certains fassent partie de notre vie. Enfin, c'est aussi l'acceptation de renoncer à l'enfance; comprendre qu'elle appartient au passé, indiscutablement:
"L'enfance merveilleuse, ces années qui donnent aux choses un goût si différent. C'était ça exactement. Cette part précieuse et que le temps nous gratte jusqu'à l'os."
Claudie Gallay nous offre un roman essentiellement tourné vers le dialogue et les échanges alors qu'il traite essentiellement des non-dits familiaux et de la difficulté de s'ouvrir à l'autre. Les personnages secondaires contribuent à l'atmosphère du thème, quant au décor hivernal il met en évidence paradoxalement la chaleur des liens fraternels.
Une part de ciel est centrée sur les gens, leurs secrets, et les liens indéfectibles entre eux.