lundi 13 janvier 2014

Une lampe entre les dents, Christos Chryssopoulos

Ed. Actes Sud, février 2013, traduit du grec par Anne-Laure Brisac, 112 pages, 16.8 euros

Athènes en temps de crise


Nous sommes en décembre 2011. Touchée depuis plus de deux ans par la crise économique, Athènes est une capitale sinistrée.
Parce qu’il n’arrive pas à trouver l’inspiration, parce qu’il ne veut pas rester enfermé dans ce qu’il appelle « la pièce des spectres » (son bureau), Christos Chryssopoulos, décide, « une lampe entre les dents », de déambuler au hasard sur les trottoirs de la capitale grecque. Très vite, ce qui se voulait au départ une simple flânerie, devient une source originale d’inspiration. Selon lui, « la flânerie n’est pas une affaire de nombre de pas. Déambuler, c’est inventer ».
Et ce qu’il voit est au-delà de la fiction, du quotidien réinventé :
« Tout ce qui autrefois avait sa place à l’abri des regards, tout ce qui restait caché – ou plus exactement privé – entre les quatre murs des habitations, est aujourd’hui livré en pâture au beau milieu de la rue, au vu et au su de tous ».
La misère prive les hommes d’intimité. La rue, et plus spécifiquement le trottoir, est devenue une résidence de fortune. Dès lors, les gens sans foyer sont contraints de perdre toute intimité… Certes, ce n’est pas un spectacle nouveau. Toutes les grandes villes du monde « abritent » les sans domicile fixe, pauvres hères que le passant fait semblant de ne pas voir, mais la spécificité d’Athènes c’est que leur nombre a considérablement augmenté, touchant toutes les classes sociales, même des familles entières.
« Ici, les rues défient toute analyse. Quelque soit leur nom, elles sont comme les métaphores du même abandon insupportable, exaspérant, qui nivelle tout ».
Enrichi de clichés pris au hasard des rues, rendant compte de la situation de détresse, le récit de l’auteur se veut être un témoignage du naufrage économique de son pays. L’écrivain qu’il est « accueille l’absence en lui ». Il libère la parole de l’autre pour lui donner sens et existence. Il ne juge pas, se contentant de livrer ce qu’il voit, de raconter les échanges avec A., un sans domicile fixe. Mais ce qui le fascine et l’inquiète, c’est le changement ; seul le Parthénon reste immuable et depuis sa hauteur contemple le désastre perpétré par la bourse et le consumérisme à outrance :
« Imperceptiblement, la ville prend un autre visage. Les rues abandonnées, deviennent des zones désertiques. Petit à petit les quartiers suffoquent. Nous sommes environnés d’espaces clos, livrés à l’abandon, vides, que laissent derrière elles les entreprises en faillite (…) La nuit, les trottoirs ressemblent à des couloirs obscurs ».
Admirablement traduit par Anne-Laure Brisac, l’auteur traite de « ce malheur inhumain qui touche les hommes à égalité ». On ne parle pas de mort, mais de misère, cette misère qui ravage l’être humain et oblige le peuple à vivre autrement sans pouvoir vraiment espérer.