vendredi 3 janvier 2014

Parade, Yoshida Suichi

Ed. Philippe Picquier Poche, octobre 2011, 314 pages, 8.1 euros

La colocation n'est pas une mince affaire...



Quatre colocataires et un invité sont les cinq voix de ce roman urbain Tokyoïte, invitant le lecteur à réfléchir sur les rapports humains.

Ryosuke, Koto, Miraï, Satoru et Naoki partagent un petit appartement dans un immeuble. Les deux chambres et la salle de vie suffisent amplement à ces jeunes gens, et servent même de refuge contre les clameurs de la mégalopole. Au départ, les premiers locataires étaient Naoki, un employé dans une société de cinéma indépendant, et Miraï, graphiste fêtarde, très souvent alcoolisée. De ce fait, le jeune homme incarne contre son gré la valeur référence des autres. Il est celui qu'on écoute alors que lui, par son indifférence envers leurs vies, tente de leur faire comprendre qu'il en a cure.

"Ils prennent ma façon de les rejeter pour une sorte d'affection et ma cote grimpe à mon corps défendant. Moi qui ne leur manifeste aucune considération, ils m'ont érigé en gentil grand frère à mon insu."

Chacun possède son secret et tente de s'intégrer aux autres. Le lecteur sent bien que leur amitié commune n'est que façade. Ils vivent finalement ensemble sans se connaître réellement, et les écueils du "vouloir-vivre ensemble" cher à la mentalité japonaise des débuts des années 2000, se montrent dans leur cruelle réalité.

Les accents polyphoniques du récit permettent justement d'accentuer le malaise: chaque personnage interprète le comportement de l'autre sans pour autant dévoiler le fond de sa pensée en présence du principal intéressé. A force, la vie commune dans cet appartement se démultiplie et propose des points de vue différents sur des situations vécues ensemble.

Ces quatre murs dans lesquels ils évoluent devient un cocon, un lieu protecteur. En effet, Koto n'est-elle pas persuadée que le voisin du 202 est un proxénète? De plus, la police les a prévenus qu'un agresseur de femmes seules dans la rue sévissaient dans leur quartier. Alors, tel Ryosuke, ils se plaisent à contempler la jungle urbaine au travers les fenêtres de la cuisine ou de leur chambre.

"Dire qu'il n'y a pas de vérité unique décrirait la situation", explique Ryosuke. Habitués aux secrets des uns et des autres, ne cherchant pas à connaître son compagnon "de pièce" au-delà de ce qu'il veut bien montrer, le silence devant la vérité révélée devient pardon, mais ne déculpabilise pas celui qui a fait des erreurs. Ainsi, Naoki, sait que ses colocataires ont deviné son secret, mais le fait qu'ils ne lui en parlent pas, le laisse seul face à ses responsabilités:

"On me laisse debout à l'entrée en me réduisant à néant".

A la fois étouffant et léger, l'auteur montre que la vie en société n'est qu'une parade, une façade sans cesse renouvelée, dont il faut s'abstenir de gratter les contours pour obtenir la substantifique moelle, de peur d'être confronté à la sinistre réalité.