Et derrière les lignes, l'ombre de Prévert...
Le
premier chapitre vous emporte comme les vagues et le vent emportent les
planches "évadées" d'un cargo au large. Le style m'a "happée": des
phrases simples, dépouillées, dans des chapitres courts et puissants.
Même ce que l'on devine à travers les mots prend toute sa dimension. La
narratrice n'a pas de nom, mais on sait qu'elle a quitté le Sud pour ce
bout de terre du Cotentin, la Hague, après la mort de son compagnon. En
comptant les oiseaux et en les observant, elle lutte contre le manque,
plus que l'ennui de son homme à jamais disparu: "ton corps de colosse
était devenu une petite chose perdue au fond du lit." Dans son
quotidien, elle croise une population de "taiseux"dont les caractères
s'apparentent étrangement aux humeurs de la mer et au paysage
environnant. Il y a Raphaël, le sculpteur, et sa soeur Morgane, Max le
benêt, Mr Anselme, mémoire vivante de Jacques Prévert, Lili,et le trio
improbable Théo, la vieille et Nan qui "croit que chaque visage inconnu
est un rendu de la mer". Il faut le retour de Lambert, un homme plein de
certitudes qui veut comprendre la mort de ses parents, pour que la
narratrice comprenne qu'un drame s'est noué il y a quarante ans et que
les gens se taisent: "cette histoire effleurait la mienne, en faisant
vibrer tout le sensible". Lambert, par son errance dans le village, fait
ressurgir les ombres du passé, tout comme "les vents (qui) soufflent
les jours de tempête sont comme les tourbillons de damnés.". Les
silences deviennent des insultes, les désirs "sont mis à vif par les
vents. C'est une affaire de peau la Hague. Une affaire de sens." Au fur
et à mesure, la narratrice va se rapprocher de Lambert. Il lui ressemble
tant! Au fur et à mesure, elle va comprendre toute l'histoire, et par
un regard appuyé, un silence, elle fera parler les protagonistes. Le
lecteur devine un peu avant la narratrice ce qui s'est passé, mais
qu'importe! Pourvu qu'on ait l'ivresse de ce style au charme envoûtant!