Ed. Actes Sud, mars 2012, traduit du Grec par Anne-Laure Brisac, 96 pages, 12.2 euros
Le monument de Phidias disparaît...
Imaginez,
un jour, à Paris, l’Arc de Triomphe détruit par une bombe artisanale ?
Quelles seraient les réactions des français et du principal responsable
de cet événement ?
Seule la fiction peut relayer ce genre
de situation tant l’aspect fantasmagorique nous submerge et nous empêche
de prévoir un tel cas. C’est le parti pris par Christos Chryssopoulos
dans ce court roman. Un matin, à Athènes, le gardien du site du
Parthénon découvre l’inimaginable : « Là où Il devait se dresser, il n’y avait que le ciel. Un ciel qui pour la première fois m’est apparu dans toute sa largeur. Implacable. Du marbre partout, pulvérisé. Un désordre insoutenable, une plaie ».
La veille, une explosion incroyable a
secoué la colline de la capitale, laissant ses habitants incrédules et
hagards. Cet acte isolé touchant à l’identité même des grecs, a été
prémédité par un homme solitaire, nourri des écrits d’un écrivain
surréaliste Yorgos Makris, qui prônait (canular ou provocation ?) la
destruction du Parthénon afin de libérer la conscience collective.
Construit
telle une enquête aux multiples entrées, le livre propose au lecteur de
devenir juré : il prend connaissance de témoignages des voisins du
terroriste, du gardien, du coupable lui-même, ou encore d’un des soldats
chargés de l’exécuter. Pour justifier les sources citées, l’auteur
propose aussi des extraits d’écrivains ayant rencontré Yorgos Makris…
Bref, le tout est présenté comme un dossier dont la particularité est de
ne pas être à charge, si bien qu’il laisse la liberté au lecteur de se
forger sa propre opinion.
Parlons-en justement de cet acte. Le
monument de Phidias était considéré comme « la perfection
indépassable », le symbole même d’une Grèce unie depuis l’Antiquité.
Perçu comme un « rêve consolateur », « il est impuissant désormais à
[les ]apaiser ». Perdre le Parthénon, c’est perdre un peu de nous. Or,
le terroriste, lui, pense que son action doit être considérée comme un
cadeau fait au peuple grec car il leur a permis de se libérer du joug du
monument : le détruire pour qu’on arrête enfin de l’invoquer en
permanence. Il ne s’agit pas d’une destruction aveugle, mais d’un acte
libérateur pour ne plus « vivre dans l’ombre du passé ». Et comme tout
événement de ce genre, il revendique haut et fort la paternité de son
geste : « cet acte serait tout entier à moi, rien qu’à moi ».
Ce petit bijou de la fiction pose la
question de l’influence des monuments historiques sur le peuple. Ils
incarnent notre identité nationale et restent un point de repère pour
les étrangers. Au delà, Christos Chryssopoulos tente de démontrer que
ces vestiges d’un passé flamboyant sont aussi sources de réconfort en
temps de crise et paradoxalement, incarnent l’espoir d’un avenir plus
radieux.
Enfin, notons que ce genre d’événement
est déjà arrivé ; souvenez-vous des Bouddhas de Bâmiyân, trois statues
monumentales en haut-relief, en Afghanistan, aujourd’hui disparues après
avoir été détruites en mars 2001 par les talibans.