mardi 14 janvier 2014

Belle famille, Arthur Dreyfus

Ed. Folio Gallimard, octobre 2013, 272 pages, 6.8 euros

Mère indigne


l'auteur s'est volontairement inspiré de l'affaire Maddie Mc Cann, petite fille disparue au Portugal, alors que ses parents dinaient au restaurant. 

Madec est un enfant original et en retrait. Dernier né d'une fratrie de trois dont les parents sont tous les deux médecins, ce petit garçon est constamment en décalage avec les autres, il "regarde la vie au lieu de la vivre", si bien qu'il déconcerte ses géniteurs.
Lorsqu'il disparaît, en Toscane, un soir où ses parents dînaient à l'extérieur avec un couple d'amis, son père ne semble pas étonné: "c'était le genre de Madec de se lever en pleine nuit pour aller baguenauder."
La vérité est bien plus moche, et seule la mère et le lecteur la connaissent. Durant l'enquête, Laurence, qui fonctionne sur "le mode de la domination tacite, tuant dans l'œuf toute tentative de rébellion" va déployer tout un arsenal médiatique autour de l'enlèvement de son enfant. Aidé de son frère Tony, elle va exploiter sa pseudo souffrance et celle, bien réelle, de son mari, pour récolter de l'argent et surtout, passer au devant de la scène: "des millions de gens, dans le monde entier, avaient découvert son visage. Elle n'était pas célèbre, elle était connue.C'était comme exister davantage." Le lecteur assiste, effaré, à un comportement complètement hors norme. Comment une mère sans nouvelle de son enfant peut développer de telles réactions? Les larmes sont absentes, mais on pense à passer chez le coiffeur ou employer un comptable à plein temps pour gérer les dons. La culpabilité l'effleure parfois mais est très vite effacée par les opérations marketing: " elle se dit que la nature était bien faite - que la perte d'un enfant s'accompagnait d'une montagne de démarches, d'enquêtes, de rencontres, d'échanges et de stratagèmes qui, pour être éreintantes, faisaient tout de même oublier un peu le chagrin de la perte elle même."
De plus, comble de chance, Ron, un pédophile connu des services de police passent des vacances dans la même résidence que la famille de Madec...
Quant à Stéphane, le père, on sent qu'il devine, on sent qu'il sait sans le savoir, ou plutôt se refuse à l'admettre. De nature soumise à son épouse, il accepte sans broncher le tourbillon médiatique, même s'il pense fortement qu'il y a un côté obscène dans l'exploitation de leur souffrance.
Petit à petit, ce petit monde accepte l'absence inexplicable de l'enfant. Seule le flic italien est persuadé de la culpabilité de la mère et tente de la confondre, en vain.


Arthur Dreyfus dresse le portrait d'une mère indigne, froide et calculatrice. En prétextant que "l'écrivain ne fait rien d'autre que cela: rêver la vérité", il propose une version "romancée" de l'affaire Maddie McCann, affaire qui avait fait grand bruit à cause du comportement décalé justement de la maman.
Truffé de réflexions ironiques, mettant en scène des hommes politiques réels, et exploitant les travers de la médiatisation, l'auteur dresse un portrait au vitriol d'une famille "perdue" dont finalement le seul membre, Madec, semblait être le plus enclin à la normalité.