Ed. Albin Michel, août 2012, 480 pages, 22.5 euros
Pour la famille Bigtree,
Swamplandia est l’incarnation du paradis terrestre. Petite île de la
Floride, ils y vivent depuis des années, en harmonie avec la nature, et y
ont fait prospérer un parc d’attractions voué aux alligators dont le
clou du spectacle était le plongeon de la mère au milieu des reptiles.
Or, depuis le décès de cette dernière, rien ne va plus. Le père,
surnommé Chef Bigtree, n’arrive plus à gérer le parc, les visiteurs sont
de moins en moins nombreux, et les trois enfants, Ava, Ossie et Kiwi,
le garçon, s’enferment dans leur chagrin.
De plus, à côté de chez eux, l’ouverture d’un parc d’un nouveau genre n’arrange pas leurs affaires…
« La Vie, c’est un phonographe dans une pièce vide. Le Monde, un disque silencieux qui tourne ».
Le silence et la solitude envahissent
Swamplandia. Seule Ava tente « de sauver les meubles », mais ce n’est
pas facile avec une famille aux antécédents familiaux particuliers :
« Eh bien, pour commencer ma sœur de
seize ans est folle, elle a des hallucinations visuelles et auditives…
La plus petite fait du rodéo sur des alligators, mon père se prend pour
un chef indien… Et aujourd’hui mon grand-père saute sur les gens pour
les mordre ».
Tel est le triste constat fait par
Kiwi, parti à l’aventure sur le continent afin de trouver de l’argent
pour continuer ses études.
Malgré les aléas et les défections
familiales, Ava reste avec sa sœur Ossie sur l’île. Cette dernière
sombre petit à petit dans la folie en se croyant mariée à un fantôme,
puis disparaît du jour au lendemain. Partie à sa recherche vers le Chas
de l’Aiguille, « genre de Charybde et Scylla », Ava va rencontrer un
Oiseleur et entreprendre avec lui un voyage initiatique dont elle en
reviendra mûrie.
Karen Russell raconte l’histoire d’une
famille unie, heureuse, qui perd tous ses repères lorsque « le pilier
familial » disparaît. Dès lors, l’unité se désagrège. Chacun part de son
côté pour vivre seul son chagrin et trouver une solution pour sauver
leur parc. Malgré les doutes, leur foi aux valeurs familiales les fait
tenir et les fait avancer.
« La foi c’est une force intérieure,
et le doute, un corps étranger, une poussière dans l’œil. Une chose
appartenant au triste monde des adultes ».
L’écriture est souvent fantasque, les
scènes souvent drôles, ce qui permet de mettre un peu de légèreté et de
relativité dans les soucis de la famille Bigtree. Et surtout,
l’affection est mise en valeur ; elle est l’incarnation de ce qui
perdure lorsque rien ne va plus, et ce sur quoi on peut compter :
« Au moment où il (papa) fit un pas
en avant, ça m’était bien égal de perdre notre île. A nous quatre – nous
cinq en comptant maman –, nous étions cette île. Nous formions à
nouveau une famille, et cette affection partagée était le plus
chaleureux des foyers ».
Ava, la cadette, est la narratrice du
roman. A travers le prisme de l’enfance qui s’achève et avec elle les
certitudes, le lecteur lit avec délectation les aventures de la famille
Bigtree, dresseurs d’alligators de père en fils, joyeux hurluberlus pour
les uns, famille modèle pour tant d’autres.