Ed. Viviane Hamy, août 2012, 330 pages, 21 euros
Petit à petit on devient moins petit...
C'est
le thème central du roman, écrit avant l'affaire Merah : Alban Joseph,
fils et demi-frère bien aimé d'une famille bourgeoise, doctorant en
chimie, "mécréant parmi les mécréants", "adversaire de toutes les
religions, de tous les extrêmes, [voyant] l'obscurantisme partout",
devient Abdelkrim Yousef, musulman radicalisé "du jour au lendemain".
Lorsque sa sœur Alix est prévenue par un ami commun, Ostend, elle tente
de comprendre, elle veut lui parler avant qu'il ne soit définitivement
trop tard. Son "demi" comme elle l'appelle, c'est aussi un peu son fils.
En effet, ses parents, gérants d'une agence de voyages, n'ont jamais eu
de temps à leur consacrer: "Ils se reposaient sur moi, la grande fille
responsable, je les remplaçais auprès des profs, de l'administration, je
les excusais, je prenais en charge mon demi."
De ce fait, une relation
quasi fusionnelle s'est installée entre Alban et Alix, et cette
histoire de conversion est d'autant plus troublante qu'il n'en a jamais
parlé...
Alix dérange tout le monde : ses parents
d'une part, qui ne comprennent pas ou refusent de comprendre le danger,
les "nouveaux amis" d'Alban d'autre part, qui voient en elle un danger
potentiel à leurs projets. Elle ne lâche rien, bâcle même son travail
minutieux de restauratrice pour localiser et revoir son demi. Quand la
rencontre se fait enfin, ce n'est pas Alban qui se présente à elle, mais
bien Abdelkrim :
"Il ne voit que la foi musulmane
pour proposer un destin collectif, soulager les hommes de tous les
continents de l'injustice et de l'humiliation auxquelles les sociétés de
l'hémisphère nord les ont condamnés, et oser une conquête universelle
et authentique."
Aux questions en rafale de sa sœur, il esquive, parle de son besoin de voyager, de solitude. De son voyage au Kenya, il évoque" le plus beau pays islamique, le plus pure" ; de sa conversion récente, il dit "l'islam est devenu central (...) son poids l'oblige à réfléchir sur toi, sur ta vie, et ça te paraît insupportable".
Aux questions en rafale de sa sœur, il esquive, parle de son besoin de voyager, de solitude. De son voyage au Kenya, il évoque" le plus beau pays islamique, le plus pure" ; de sa conversion récente, il dit "l'islam est devenu central (...) son poids l'oblige à réfléchir sur toi, sur ta vie, et ça te paraît insupportable".
Au fil du temps, Alban se met au vert,
puis réapparaît, mais à chaque fois changé physiquement mais aussi
moralement. La chrysalide se transforme, Alix pressent un projet
funeste. Alors, pour ne pas sombrer, elle écrit, s'épanche sur les pages
word de son ordinateur, couche par écrit tout ce qu'elle ressent et
toutes les hypothèses qui lui passent par la tête. Or, la DCRI veille...
Métamorphoses n'est pas seulement le
roman d'une conversion en "fou de dieu", de la transformation d'un
mécréant en disciple d'Allah, c'est aussi le récit des métamorphoses
successives de ceux qui connaissent Alban et assistent impuissant à sa
radicalisation. Alix, la sœur bien aimée devient une ennemie
potentielle, les parents autrefois distants et égoïstes culpabilisent,
les amis d'autrefois prennent peur... Tout ce petit monde est touché de
près ou de loin par les décisions du jeune homme, alors que lui comble
ses errances et le vide de son existence avec la foi. Seule une action
de grande envergure pourra l'arrêter.
C'est l'histoire aussi d'un impossible
retour à la normale, d'une montée en puissance de l'action, vers
l'impression du ballon de baudruche qui se dégonfle, et qu'on regonfle
ensuite. En fait, le parcours d'Alban est semblable au circuit des
montagnes russes de sa jeunesse: ascension, descente vertigineuse,
virages, vitesse puis ralentissement. On y goûte, puis on y prend goût
jusqu'à l'écœurement ou la trahison.
Le personnage d'Alix porte le roman à
bout de bras. François Vallejo a choisi une prose tonique, sans temps
mort, à l'image de son héroïne. Jusqu'au bout, le lecteur est incapable
de deviner l'issue.
"Mon frère est devenu un personnage
local à la vie fictive" se dit Alix. On est bel et bien dans la fiction,
mais les actualités récentes prouvent que justement la fiction se
rapproche parfois de très près de la réalité, et cela fait froid dans le
dos.