HOMO BOREALIS
Prix Pulitzer
"Considérer sa vie, faire le bilan ainsi que chaque homme, s'était-il imaginé, devant le faire au moment du trépas, c'est contempler une masse mouvante, les carreaux d'une mosaïque tournoyant, tourbillonnant, retraçant le portrait, brossé dans des couleurs toujours reconnaissables, d'éléments familiers, d'unités moléculaires, de courants intimes, mais devenus également indépendants de sa volonté."
George se meurt, et dans une demi-conscience, entouré de sa famille, il tente de mettre en ordre ses souvenirs, notamment ceux le rattachant à son père Howard, qui, un soir, pour ne pas être interné par sa femme qui ne supportait plus ses crises de Grand Mal (épilepsie), a préféré continuer son chemin au delà du foyer.
Puis au delà d' Howard, son père lui-même, le grand-père de George, pasteur, disparu lui aussi un matin, sans explication...
Car c'est les silences et les non-dits qui ont tissé les liens au delà des liens du sang. Seul notre homme agonisant a su rompre avec le vide et construire une famille unie. George ne s'est pas "effacé" comme son grand-père, et il ne laissera pas des "atmosphères" à la place de souvenirs. Du coup, George a peur du silence, peut-être cela est-il une explication à son passe temps de réparer les horloges.Le tic tac familier lui donne la sensation de faire partie du monde et des éléments; leur silence est source d'oppression:
"lorsqu'il prit conscience que le silence qui l'avait tant perturbé était celui de ses horloges qu'on avait laissées s'arrêter, il comprit qu'il allait mourir dans le lit où il était allongé."
Le récit entrecoupé d'extrait d'un manuel d'horloger du XVIII siècle ou du carnet de l'"homo borealis", est une ode à la vie. Souvenirs hallucinés d'un cerveau au crépuscule de son fonctionnement, les souvenirs se mêlent étroitement aux visions de la nature. L'homme est un tout: il est la somme de son passé, ses expériences et sa famille. Il incarne, souvent sans le vouloir vraiment, la représentation réfléchie des émois de la nature:
"Le ciel et les arbres se vidèrent de leur lumière, aspirée comme par un entonnoir vers l'horizon à l'ouest, où la terre sembla l'avaler. Les branches des arbres s'assombrirent dans le crépuscule. Kathleen pensa: Comme le cerveau de Howard - illuminé, consumé, puis éteint."
Paul Harding propose une prose poétique aux multiples recoupements qui, au final, fait de la mort, une métaphore, un simple tremplin vers la continuité des choses. Admirable