Ed. Gaïa, traduit du serbe par Alain Cappon, Editions Gaïa, septembre 2013, 320 pages, 22 €
Une
nuit, dans une chambre d’hôtel de Lexington Avenue à New-York, le
docteur Danilo Araki ne dort pas. ce ne sont ni les lumières
clignotantes des panneaux publicitaires, ni les marmonnements de
l’inconnue qui dort à ses côtés qui le perturbent. Non, il a la vague
impression de n’être pas seul. Et il a raison, car près de lui, tel un
souffle, chuchotent les voix des défunts de sa famille. Elles le forcent
à se rappeler son passé, ses souvenirs, non pas dans son exil
américain, mais son enfance et sa jeunesse en Yougoslavie.
« Les âmes des ancêtres tournent
sans fin autour de leurs descendants en vie afin de sentir à travers eux
la chaleur du soleil et le contact de la peau humaine ».
Ainsi, Danilo revoit son grand-père,
Luka Aracki, pilier de la légende familiale dont parle l’almanach de la
ville que le docteur a pu récupérer et compulser. Luka était une
personnalité forte. Colonel de l’armée et pourtant un fervent défenseur
de la paix, considérant les guerres comme une malédiction. D’ailleurs sa
mort fut un symbole de lutte contre les armes.
Mais
ce Luka avait une faiblesse, faiblesse d’ailleurs que tous les Aracki
mâles vont connaître : sa femme. En effet, chaque Aracki va épouser une
dame à la personnalité forte, trop forte même, dont l’amour va vite se
transformer en dédain ou en pitié. Seul Petrar, le frère disparu de
Danilo, reste une énigme, car personne ne sait ce qu’il est devenu.
Durant cette nuit, les spectres de sa
famille l’obligent à se rappeler mais aussi à se poser des questions sur
lui-même, ses doutes et ses incertitudes. En effet, n’est-il pas le
dernier des Aracki ? A lui de faire en sorte que la mémoire familiale
reste vivante. A lui aussi de tenter de résoudre l’énigme de la
disparition de Petrar. Les défunts comptent sur lui. Même exilé, ils ne
le lâcheront pas, « les fragments de sa vie continueront à se succéder comme des rayons lumineux qui alternent sans lune ni étoiles ».
Tout se mélange, « les voix des morts et des vivants se mêlaient dans son oreille, exigeant de lui qu’il se souvienne, qu’il se rappelle
». De Belgrade à New-York, du début du vingtième siècle, à
l’effondrement de l’ex-Yougoslavie, Danilo se rappelle de tout ou plutôt
tente de poser des réponses sur ses questionnements successifs. Ainsi,
les défunts se calment, les chuchotements sont moins insistants.
Ne pas oublier son passé permet de mieux
appréhender son futur, et pour le docteur Aracki, le futur c’est
l’Amérique et un poste de médecin psychiatre. Ni l’éloignement, ni le
temps qui passe ne lui feront oublier sa langue, son éducation, les
siens. Les spectres qui errent dans sa chambre d’hôtel peuvent être
rassurés.
Des Voix dans le vent se sont
vu décerner le prix NIN, l’équivalent de notre prix Goncourt en 2009.
L’auteure oppose une unité de temps et de lieu (la chambre, la nuit) à
une reconstruction en mosaïque de l’histoire complète d’une famille, qui
se joue avec des allers retours dans l’Histoire des Balkans. Et
pourtant, le lecteur ne s’y perd pas. Il arrive à compléter au fur et à
mesure du récit l’étrange histoire de la famille Aracki dont les défunts
refusent d’en faire « un grain de sable dans le néant ». A Danilo de faire en sorte que l’oubli ne se fasse pas ; il devient désormais le garant.