Ed Albin Michel, traduit de l’anglais (USA) par Olivier Colette, septembre 2013, 320 pages, 23 €
Dans la petite ville imaginaire de Krafton, tout le monde se connaît. Le maire, Freely, est le gérant de l’épicerie, quant au premier et unique officier du lieu, c’est une femme, Helen, dont la candidature au départ avait été faite pour plaisanter.
A Krafton, les jeunes et les moins
jeunes rêvent de partir voir si la vie ailleurs est plus belle, si elle
offre d’autres perspectives. Parfois, certains y sont contraints, comme
Jorgen, soldat de la Guerre du Golfe, ou Winslow, qui après avoir tué
son fils accidentellement, fuit le domicile conjugal à pied. Il marche
pendant des jours et des jours pour atterrir dans une bourgade où il se
loue comme « punching-ball », expiant à sa façon sa culpabilité et son
chagrin.
« Dans la lune pâle, il sut qu’il
n’existait plus au monde des hommes et qu’il errerait à jamais dans les
bois tel un fils perdu du monde civilisé ».
La fuite, thème majeur de ces huit
nouvelles, est souvent un fantasme. La peur de l’inconnu la bloque, la
crainte aussi d’être sans protection, alors on reste au village et on
attend. Ailleurs, c’est un labyrinthe, tel que celui dessiné par Maria
dans son champ de maïs. Seulement, on peut être confronté à un événement
exceptionnel et mettre en évidence une facette méconnue de sa
personnalité. DansGardienne de la paix, Helen décide
d’appliquer la loi du talion « œil pour œil, dent pour dent »,
lorsqu’elle découvre l’assassin d’une adolescente disparue :
« Helen eut le sentiment d’être au
centre de quelque chose d’énorme et d’urgent, de beaucoup trop grand
pour son esprit, et bien qu’elle fut terrifiée et en colère, elle se
sentit surtout désespérément seule. (…) Les lois sur le meurtre, et même
les exigences de Dieu, n’accordaient pas la paix. Pas toujours. Il
resterait la douleur ».
Dans Fumée, le père de Vernon
ne se voit plus comme un homme de bien depuis qu’il a tué sur un coup de
folie un homme qui refusait de lui céder le passage avec son pickup. Il
est désormais un homme qui a failli et veut rester seul.
Justement cette solitude abîme les
habitants les plus solides, telle Maria qui, depuis que sa mère a été
tuée lors du vol de son véhicule, ne croit plus en la nature humaine Son
champ de maïs devient le rempart qu’elle a dressé contre le monde
extérieur, mais « pas assez haut pour la cacher du monde, et lui cacher le monde ». Peu importe que le pasteur Vernon tente de le ramener sur le chemin de l’église, rien ne sera plus jamais comme avant…
Volt propose huit nouvelles aux
personnages parfois récurrents. S’y dessinent, au fur et à mesure de la
lecture, des références bibliques manifestes. Krafton n’est-elle pas
envahie par les eaux ? Le pasteur n’est-il pas homme de Dieu justement
pour pardonner les actes de son père ? La femme shérif n’applique-t-elle
pas la loi du talion ? Winslow ne cherche-t-il pas un moyen d’expier sa
faute ?
Ainsi, l’Homme est sur Terre pour souffrir et se confronter à Dieu. Volt
incarne le microcosme des peines et conflits de la condition humaine.
Helen revient dans plusieurs nouvelles, fil d’Ariane cohérent car « elle connaît l’histoire du monde impie noyé par Dieu
». Après le déluge, c’est elle qui sillonne les rues de la ville noyée,
sur son canot de fortune, à la recherche de personnes en détresse, à
l’affût des tentatives de pillage.
Alan Heathcock raconte un monde où la
religion s’avère être une épreuve plus qu’un réconfort. Les citoyens
présentés sont torturés par leurs actes et ce qu’ils symbolisent. Ils
veulent renaître tel Lazare de Béthanie, ils cherchent une solution pour
être pardonnés malgré les pêchés passés. Or, en attendant, ils ne sont
pas au paradis, ils sont à Krafton, et subissent.