Ed. de l'Olivier, février 2013, 192 p. 18 €
Carlotta
Delmont est une mezzo soprano de renom. De passage à Paris pour une
série de concerts au Palais Garnier, elle se terre au Ritz, victime de
son succès, essayant de sauver sa voix après une mauvaise bronchite.
Guérie, elle se sent prête à se montrer en public, à chanter, et
pourtant, un jour d’avril 1927, elle va disparaître pendant deux
semaines.
Certains pensent que c’est « un
canular monté par la direction du palais Garnier en vue de monter la
plus grande campagne de publicité jamais orchestrée pour un opéra
», d’autres y voient une situation inquiétante, d’autres encore une
lubie venant d’une femme ayant tendance à vivre avec passion ses rôles
et confondant peut-être scène et réalité…
Bref, les rumeurs circulent, les
journaux s’en mêlent, il y a même des lettres anonymes. Sans
véritablement la connaître, les journalistes en font « une femme à la sensibilité exacerbée qui s’identifie aux héroïnes auxquelles elle prête sa voix
». Pourtant sa gouvernante Ida et son partenaire de scène Anselmo
défendent sa réputation. Selon ce dernier, amoureux d’elle et amant, « elle est faite pour aimer » ; Ida, elle, pense que « Madame a disparu à un moment particulier de sa vie de femme ».
Finalement, on pérore beaucoup, mais personne ne sait où se trouve la cantatrice…
Or, deux semaines plus tard, Carlotta
réapparaît, rayonnante, les cheveux coupés (ce qui en 1927 est signe
d’avant-gardisme), mais muette quant aux motifs de sa disparition. Tout
juste sait-on qu’elle a vécu une vie de bohème parisienne et a su rester
incognito.
Mais cette « prise de liberté » est très mal vue. Les journaux écrivent que « Carlotta
Delmont est allée chercher dans les rues parisiennes ce que le Ritz ne
pouvait lui proposer, de même qu’elle est allée chercher dans l’Opéra,
ce que la vie ne pouvait lui offrir ». Anselmo, son amant, ne lui
pardonne pas son escapade : soupçonné par la police de l’avoir tuée, il
lui en veut. Son impresario, Gabriel, qui s’avère être l’homme avec qui
elle vit et qui a fait d’elle une star, se sent aussi floué. Il se rend
compte que son amour pour elle est vain. Pour sauver les apparences, il
décide d’en faire « une créature inapte au réel »…
Tout s’écroule autour de Carlotta
Delmont. Afin de garder un semblant de cohérence dans cette nouvelle
vie, elle écrit un journal intime. De Gabriel, elle dit que s’il était
le seul homme au monde, « le monde sans exception deviendrait claustrophobe
». D’Anselmo, elle comprend sa fierté masculine mal placée. Ne lui
reste plus que la fidélité d’Ida. Ainsi, ses deux semaines de liberté,
elle les conçoit comme « une perpendiculaire » dans son
quotidien tout tracé, dans lequel son désir de vraie vie et d’anonymat a
pris le dessus sur le reste. Se faire passer pour une autre c’était
aussi un peu revivre. Ni remords, ni regrets donc, mais elle en paye
désormais le prix.
La structure du roman est à l’image de
son héroïne : originale et audacieuse. La faiblesse de la cantatrice est
racontée à travers des lettres, des articles de journaux, d’extraits de
journal intime, d’une carte postale… Le dénouement est raconté sous une
forme théâtrale. Est-ce là le moyen de dire que Carlotta est avant tout
un personnage de fiction ?
De cette structure protéiforme, ressort
l’idée selon laquelle Carlotta a fui un entourage anxiogène et
asphyxiant. Prise en charge et « modelée » depuis ses quatorze ans, elle
a le sentiment, à trente ans, de n’avoir pas vécu. Cependant, ce qui
passerait inaperçu à notre époque, devient une « affaire d’état », car
en 1927 les conventions et les mœurs ne répondaient pas aux mêmes
principes.
Folle ou trop lucide ? Femme libre ou
caprice d’une femme insatisfaite ? C’est au lecteur de forger sa propre
opinion. Carlotta Delmont est un personnage attachant et sa faiblesse
une parenthèse dans sa vie que son entourage lui fera vivre comme un
fardeau.